Archives Mensuelles: juillet 2014

Jaurès ou la nécessité de la VI° République

Tribune parue sur le site de Mediapart mardi 29 juillet 2014

Francis Daspe, secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée). Il est également co-auteur du livre intitulé « Hollande, la République pour cible », éditions Bruno Leprince, collection Politique à gauche, avril 2014.

 

 

Il y a 100 ans, le 31 juillet 1914, à 21 heures 40, alors qu’il dînait au café du Croissant, Jean Jaurès était assassiné par Raoul Villain. Une des ultimes digues contre le déclenchement de la première guerre mondiale venait de céder. En conséquence, trois jours plus tard, l’Europe s’embrasait, la France optant pour l’union sacrée contre laquelle Jean Jaurès avait mobilisé tant d’énergie.

 

Mais l’assassinat de Jaurès nous invite également à nous interroger sur le rapport à la République. Il y eut un avant et un après. En 1914, nombreux étaient les Français à s’opposer encore à l’idée même de République : l’affaire Dreyfus moins de vingt ans auparavant montrait qu’elle n’était que la « gueuse » à abattre. En 1919, un consensus semble alors se dessiner dans l’acceptation du régime républicain. Jean Jaurès fut, à son corps défendant, un des ciments de cette évolution. Sa mort était en quelque sorte la condition préalable au fait que l’armée accepte la République. Celle-ci pouvait amener la France à la victoire militaire, ce dont l’armée et les forces antirépublicaines doutaient fortement. Ce ralliement supplémentaire s’effectua de facto par une sorte de danse sur le corps de Jaurès.

Fallait-il que le sacrifice expiatoire de Jaurès se réalisât pour que le triomphe de l’idée République puisse prendre forme ? On peut en douter en examinant les ralliements antérieurs de forces de culture pourtant antirépublicaine. Ils ne se caractérisèrent pas par la sincérité, mais par l’opportunisme et les circonstances. Il en allait ainsi de monarchistes modérés (le courant de droite orléaniste) en 1873 à la suite du refus du drapeau tricolore par le prétendant légitimiste qui ne démordait pas du drapeau blanc à fleur de lys. Ou encore du ralliement des catholiques à la suite du toast d’Alger du cardinal Lavigerie en 1890 et de l’encyclique « Au milieu des sollicitudes » du pape Léon XIII en 1892.

On peut également en douter a posteriori à la lumières des événements historiques. La fragilité et l’ingratitude de ces ralliés de circonstances saute aux yeux. Il suffira d’une crise économique pour voir à l’occasion de la manifestation du 6 février 1934 les antirépublicains crier à nouveau leur haine de la gueuse. Il suffira d’une défaite militaire en juin 1940 pour que les mêmes proclament leur divine surprise à la chute de la gueuse : l’avènement du Front populaire quatre ans plus tôt, en les humiliant, les avait fait désespérer d’une telle issue, mais les avait fait regorger de haine.

L’événement décisif du ralliement à la République fut en 1958 la synthèse gaulliste. Il s’agit bien d’une véritable synthèse : la  forme retenue en sera la monarchie républicaine de la V° République.

 

Les enseignements de Jean Jaurès retrouvent toute leur actualité. La République se caractérise en effet par une constante contradiction : en même temps qu’elle s’impose avec la force d’une évidence elle est perpétuellement et insidieusement vidée de sa substance par ses adversaires qui ne désarment pas. C’est en cela que la séquence ouverte par la synthèse gaulliste est clairement terminée. La V° République est parvenue à sa date de péremption. Elle se décompose sous les coups des différentes oligarchies qui en sapent par esprit de caste et méconnaissance de l’intérêt général les bases. La droite de plus en plus décomplexée reprend les mots des antirépublicains des siècles écoulés.

L’œuvre jaurésienne, contre toutes les formes d’aliénations, fondée sur l’émancipation « prométhéenne », offre l’aspect d’une synthèse, propulsive celle-ci, entre l’exigence républicaine et l’ambition de transformation sociale. La VI° République devra pareillement combiner les valeurs universalistes de la Révolution française et l’humanisme des combats ouvriers des siècles suivants. Les deux sont puissamment remis en cause, et pas seulement par la droite « buissonienne » la plus réactionnaire », mais aussi par d’autres au nom d’une insaisissable adaptation à la modernité jamais interrogée au crible du progrès humain.

Ne pas s’engager résolument dans la voie d’une VI° République équivaudrait à perpétuer un nouvel assassinat de Jaurès. Un de plus après  son élimination physique, après  l’union sacrée, après l’acquittement de son meurtrier, avec la conversion au social-libéralisme de quelques-uns de ses prétendus héritiers, avec le retour conquérant de l’oligarchie. Contre tout cela, le message de Jean Jaurès nous propose les fondements d’une alternative.

 

 

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La mort de Robespierre ou l’élan de l’égalité brisé

Tribune parue sur le site de Marianne le lundi 28 juillet 2014.

Francis Daspe est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée). Il est également co-auteur du livre intitulé « Hollande, la République pour cible », éditions Bruno Leprince, collection Politique à gauche, avril 2014.

 

 

Il y a 220 ans, les 27 et 28 juillet 1794, la Convention renversait Robespierre.  Le 10 Thermidor de l’An II, lui et ses amis étaient guillotinés. La signification de cet événement est considérable. Elle a été pourtant sujette à manipulations.

L’exécution des robespierristes marque d’abord la fin de la révolution. Certes des débats autant idéologiques qu’historiographiques existent quant au terme de la révolution française. Certains le fixent en 1799, au coup d’état de Brumaire qui marque la fin de la République et l’arrivée au pouvoir du consul Napoléon Bonaparte. D’autres retiennent 1815 et l’abdication définitive de l’empereur Napoléon I° qui permet le retour de la monarchie des frères de Louis XVI. Dans le sens d’une rupture dans la recherche de plus l’égalité, la mort de Robespierre marque bien la fin de l’idéal révolutionnaire.

 

Elle consacre en fin de compte le triomphe de la deuxième phrase de la l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Celle-ci est trop souvent oubliée, pour ne retenir que la première phrase, nécessaire et consensuelle (les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits). Si celle-ci proclame l’égalité civile (et donc la fin de la société d’ordres et de privilèges de l’Ancien Régime), la seconde se refuse à faire de l’égalité sociale l’horizon commun de la nouvelle société. En effet, les « distinctions sociales » y sont consacrées, même si elles sont contrebalancées par « l’utilité commune » En affirmant ainsi que « les distinctions sociales ne pourront être fondées que sur l’utilité commune », la voie vers une société de classes était ouverte, avec toutes ses injustices contre lesquelles le mouvement ouvrier et socialiste se bat depuis deux siècles. Car la notion d’utilité commune est ce qu’il y a de plus délicat à manier, se prêtant aisément à toutes les formes d’instrumentalisation. Dire que les nobles et les courtisans oisifs avaient une utilité commune toute relative est évident ; en profiter pour établir des hiérarchies parmi les futurs travailleurs beaucoup moins.

 

La réaction thermidorienne qui allait s’enclencher après l’exécution de Robespierre le montre nettement. Le rétablissement du suffrage censitaire en constitue un premier exemple. Le discours de Boissy d’Anglas pour le justifier est à cet égard édifiant. Trois extraits de son discours en témoignent. « L’égalité civile, voilà tout ce que l’homme raisonnable peut exiger. L’égalité absolue est une chimère ». « Nous devons être gouvernés par les meilleurs, les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois ». « Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature ».

Les éléments de la réaction se sont également étendus au champ économique. La loi sur le maximum des denrées fut abolie dès la fin de l’année pour revenir à la liberté économique caractérisant une véritable société de classes. Ce fut d’ailleurs l’ultime insulte qu’entendit l’Incorruptible au pied de l’échafaud : « Foutre, le maximum ! ».

Il en est allé de même pour d’autres domaines, qu’ils soient physiques ou symboliques. Car c’est dans cette articulation que réside la sinistre alchimie des contre-révolutionnaires. Les velléités de République sociale que portaient les Montagnards furent en effet liquidées. Physiquement avec les derniers députés qui siégeaient sur la crête de la Convention (ils étaient nommés pour cela les Crétois). Ils avaient soutenu lors des ultimes insurrections des sans-culottes parisiens de germinal et de prairial (1° avril et 20 mai 1795) les revendications populaires résumées par le mot d’ordre « du pain et la constitution de 1793 ». Symboliquement ensuite : le mot révolutionnaire fut proscrit par le décret du 12 juin 1795, la destruction des bâtiments des Jacobins de la rue Saint-Honoré fut ordonnée par celui du 24 juin.

 

L’analyse de cet événement historique possède une actualité ; elle ouvre également des perspectives. Le combat pour l’égalité reste toujours une urgence au moment où tous les rapports notent l’accroissement des inégalités sociales et territoriales. Pour cela, les thermidoriens d’aujourd’hui, c’est-à-dire les réactionnaires et les oligarques de tout poil, sont à l’œuvre. Ils ont, pour parvenir à leur dessein, mobilisé la notion d’équité. Elle leur sert de caution commode. Ils l’utilisent pour masquer le caractère intrinsèquement sombre de leurs visées, en agitant le concept vague d’égalitarisme. Le triomphe de l’équité sonne en réalité comme le renoncement à l’égalité. En cas d’obstacle, les nouveaux réactionnaires n’hésitent pas à utiliser différentes formes de violence, sociale et symbolique principalement. Celles-ci s’inscrivent dans le prolongement de la terreur blanche des contrerévolutionnaires. L’héritage de Robespierre et de la République montagnarde nous incite plus que jamais à entretenir le flambeau de l’égalité.

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