LETTRE DU MOIS DE L’AGAUREPS-PROMÉTHÉE N° 154 SEPTEMBRE / OCTOBRE 2021

Sommaire du numéro 154 : Spécial « Géopolitique »

  • Edito de Francis DASPE « La géopolitique commande à la politique » page 2
  • Géopolitique et ONU page 4
  • Géopolitique et lieux stratégiques page 6
  • Géopolitique et sport page 10
  • Une fiche d’adhésion (facultative mais conseillée…) pour 2021 page 14

La géopolitique commande à la politique

La géopolitique est quasi systématiquement la grande oubliée des réflexions politiques et de l’élaboration des programmes électoraux. Pourtant, les urgences géopolitiques s’imposent à nous tous, qu’on le veuille ou non, nombreuses, récurrentes, impérieuses et complexes. C’est qu’en réalité la géopolitique très souvent commande à la politique. Nul ne peut s’exonérer d’une prise en compte des rapports de forces et des contraintes géopolitiques. Si comme Clausewitz le disait au début du XIX° siècle, la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, nous pourrions semblablement dire que « la politique est la résultante de réalités géopolitiques qui constituent un cadre permanent de l’action militante quotidienne et du gouvernement des Etats ».

L’actualité nous rappelle sans cesse au primat de la géopolitique. Cet été, la prise du pouvoir éclair par les talibans en Afghanistan, dans le prolongement de la débâcle enregistrée par les Etats-Unis, fut l’occasion pour beaucoup d’une nécessaire remise à niveau. L’ignorance de certaines réalités tenaces explique a posteriori les échecs cinglants de certaines menées aventureuses, quand bien même elles le seraient par de grandes puissances se croyant à l’abri de tels désagréments.

Méditons à cet égard les propos de Maximilien Robespierre, extraits de son discours sur la guerre qu’il prononça le 2 janvier 1792 devant la Société des Amis de la Constitution : « La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique, est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis. ». Oui, pour prolonger l’heureuse citation de l’Incorruptible, les peuples n’aiment jamais les missionnaires armés se proposant d’exporter la liberté à la pointe de leurs fusils…

Moins spectaculaire, mais pas forcément moins structurante et impactante pour la réalité des relations géopolitiques planétaires, l’affaire qui vient d’être dévoilée ces derniers jours concernant le contrat de sous-marins que l’Australie devait commander à la France. Celle-ci se targuait d’avoir signé en 2016 le contrat présenté comme celui du siècle prévoyant la livraison à l’Australie par Naval Group de douze sous-marins conventionnels (avec en contrepartie les désormais inévitables transferts de technologie qui à moyen terme sont de nature à remodeler les hiérarchies économiques et géopolitiques).

Il s’agissait du plus important contrat passé pour du matériel de défense à un industriel français. Finalement, ces sont les Etats-Unis et leur allié anglais qui empocheront le pactole du marché. C’est un coup très dur pour la stratégie indopacifique de la France. La Chine a pour sa part déjà réagi en dénonçant « une clique irresponsable » dont les agissements sont de nature à « saper gravement la paix et la stabilité régionales, intensifier la course aux armements, compromettre les efforts internationaux de non prolifération nucléaire ». Rien de moins !

La sentence formulée par de Gaulle, indiquant que « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », a été opportunément rappelée pour montrer à quel point la géopolitique n’est pas une affaire de « bisounours », pour utiliser une expression familière dénotant avec les us et coutumes traditionnels de la diplomatie. Nous en forgerons une autre, toute autant explicite, afin d’illustrer de manière concrète les règles aléatoirement cyniques des relations géopolitiques. « Les ennemis de mes ennemis doivent devenir mes amis, même si je sais qu’ils pourront plus tard être des ennemis ». Cela conduit souvent à jouer avec le feu, et de fait, à se transformer davantage en pyromane qu’en pompier. Les Etats-Unis s’y sont essayés plus que de raison. Ils s’y sont parfois brulé les ailes. Pour s’en convaincre, on pourra se contenter de se remémorer que dans les années 1980 Saddam Hussein et Oussama Ben Laden furent à la fois des créatures et des amis des Etats-Unis.

Saddam Hussein fut le cheval sur lequel paria la CIA dirigée par Bush père pour peser dans les évolutions politiques tourmentées et incertaines en Irak au dès les années 1960 et 1970. A la suite de quoi il devient un allié particulièrement choyé, notamment au moment du conflit qui éclata à partir de 1979 entre les Etats-Unis et l’Iran de la révolution islamiste, puis de 1980 avec la féroce guerre Iran / Irak. Dans le contexte de la guerre froide et de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, Oussama Ben Laden, jeune milliardaire saoudien qui s’engagea dans le djihad, fut aidé et financé par la CIA pour devenir un élément reconnu du dispositif destiné à lutter contre « l’empire du mal », formule alors utilisée par Ronald Reagan, président des Etats-Unis de 1981 à 1989.

Aujourd’hui, la mondialisation, et ses apôtres zélés, voudraient donner l’impression qu’elle atténue par nature et effet magique les tensions géopolitiques. C’est un grossier subterfuge. Au contraire, elle repose, et les actionne, sur une multitude de tensions géopolitiques pouvant aisément se transformer en conflits, et à l’occasion, dégénérer en guerres ouvertes. Elle suscite concurrences impitoyables et compétitions sans foi ni loi pour la conquête de marchés. Elle ressuscite des formes renouvelées d’impérialismes et de néo-colonialismes. Bref, elle se situe bien loin de l’image idyllique prêtée par certains d’une mondialisation se voulant heureuse.

En définitive, la géopolitique pose frontalement une question essentielle, celle de la souveraineté des Etats et des peuples. C’est-à-dire de la capacité de chacun à garder le contrôle sur son destin collectif. Car la souveraineté nationale et la souveraineté populaire vont nécessairement de pair, sous peine d’en proposer des versions peu opératoires pour la première ou désincarnées pour la seconde.

Pour être à la hauteur des enjeux géopolitiques, l’AGAUREPS-Prométhée entend en faire un fil rouge de ses réflexions et de ses analyses. Elle y reviendra régulièrement, et notamment consacrera au moins une fois annuellement sa lettre mensuelle à ces thématiques.

Francis DASPE 18 / 09 / 2021

Géopolitique et ONU

Il s’agit d’un extrait des Actes de la réunion de travail de l’AGAUREPS-Prométhée des 30 novembre 2005 et 25 octobre 2006. Le texte final, long de 16 pages, était intitulée « L’ONU dans le concert international ».

Quelle composition du Conseil de Sécurité ?

Il s’agit d’une question cruciale, au cœur des débats et des passions qui animent l’ONU. Mais force est de reconnaître qu’elle a tendance à polariser une trop grande partie de l’attention relative aux projets de réforme envisagés. Une des explications provient du fait qu’elle met en jeu explicitement les reproches exprimés quant à la légitimité de l’ONU.

En effet, la critique de non-représentativité des membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU est récurrente depuis les années 1960. Le nombre souhaité de ceux-ci est aussi un motif de désaccords. La remarque vaut également pour les membres non permanents dont le nombre a déjà évolué et pourrait le faire encore à l’avenir.

Les cinq membres permanents ne correspondent pas uniquement aux vainqueurs de la seconde guerre mondiale, contrairement à l’idée répandue et communément acceptée. Pour trois d’entre eux, Etats-Unis, URSS et Royaume-Uni, leur statut de puissances alliées vainqueurs des pays de l’Axe justifie à lui seul leur appartenance à ce club fermé. Pour les deux autres, Chine et France, l’occupation de leur territoire par le Japon ou l’Allemagne ne les rangeait pas automatiquement dans le camp des vainqueurs (voir à ce propos les préventions exprimées par Roosevelt à l’encontre du général de Gaulle et les projets qu’il projetait pour la France au moment du débarquement de Normandie).

Un argument supplémentaire a dû alors être utilisé : le poids démographique. A eux cinq, ils représentaient plus de la moitié de la population mondiale (pour certains d’entre eux, il fallait comptabiliser l’ensemble des colonies). Cet argument démographique se révèle à double tranchant aujourd’hui. En raison d’une part du processus de décolonisation qui a touché la France et le Royaume-Uni et de l’éclatement de l’URSS, d’autre part de l’explosion démographique des pays du Sud, les cinq membres permanents ne comptent aujourd’hui plus que pour 30 % de la population mondiale (dont 20 % pour la seule Chine).

Cette situation explique largement les raisons pour lesquelles de nombreux Etats contestent, depuis les années 1970 surtout, le nombre des membres permanents du Conseil de sécurité, voire purement et simplement l’existence de membres dotés de tels pouvoirs aux antipodes du principe d’égalité. C’est ainsi que les vaincus de la seconde guerre mondiale (Japon, Allemagne et Italie), des pays d’Afrique comme l’Afrique du sud (au nom de son dynamisme économique relatif), le Nigeria (au nom de son poids démographique) ou encore l’Egypte (au nom de sa position au carrefour de deux continents et d’une région stratégique pour l’équilibre de la planète ou en tant que pays arabo-musulman) et des pays émergents arguant d’atouts économiques et d’une force démographique incontestable à l’image de l’Inde, du Brésil ou de l’Indonésie, souhaitent devenir membres permanents du Conseil de sécurité.

Des débats similaires existent quant aux membres non permanents ; déjà, en 1963, l’adoption d’un amendement à la charte visait à corriger une situation jugée insatisfaisante. Le nombre était passé de 6 à 10 et la répartition par zones géographiques en avait été fixée. En dépit de ces réajustements, les basculements géopolitiques, les mutations démographiques et les inégaux dynamismes économiques ont conduit à ce que certaines zones géographiques s’estiment sous-représentées.

Deux grandes tendance se dessinent pour l’occasion : il y a ceux qui voudraient des membres permanents nouveaux et ceux qui préfèreraient l’introduction de membres non permanents quitte à ce que ceux-ci puissent être réélus, ce qui n’est pas prévu actuellement par la charte. Entre  ces deux options, se décline une variété de propositions intermédiaires.

Mais ces projets d’élargissement se heurtent bien souvent à des concurrences entre pays postulants. C’est ainsi que le Pakistan s’oppose avec force à toute promotion de l’Inde, voisin avec qui les tensions sont fortes. La concurrence est vive entre les trois postulants africains, chacun craignant que la satisfaction des ambitions de l’un d’entre eux porte un coup fatal aux siennes. L’Italie verrait d’un mauvais œil devenir la seule grande puissance européenne écartée de ce concert des nations qui comptent si l’Allemagne y était enfin conviée. L’Espagne utilise les mêmes arguments, qu’elle étend à l’Amérique latine, la promotion du Brésil, de l’Argentine ou du Mexique pouvant sonner comme une humiliation à l’ancienne puissance coloniale. Mexique et Argentine ne comprendraient pas que le seul Brésil  bénéficie de tels avantages. La Chine s’oppose résolument au Japon, s’appuyant pour cela sur les ressentiments encore tenaces chez quelques pays voisins qui ont eu à souffrir de l’impérialisme nippon au cours de la seconde guerre mondiale.

Autre question sensible, celle de la représentation de l’Union européenne. Celle-ci se ferait-elle à la faveur d’un siège supplémentaire ou au contraire à la place de ceux des nations européennes déjà présentes (à savoir le Royaume-Uni et la France) ?  Un siège unique attribué à l’Union européenne en tant que telle serait fort mal ressenti par ces nations européennes qui en seraient les victimes, le sentiment national ayant été loin d’avoir été anéanti par un demi-siècle de construction européenne. Mais l’ajout d’un siège supplémentaire pourrait être considéré comme un moyen détourné de barrer définitivement la route aux ambitions de l’Allemagne. On le voit bien, pour beaucoup, l’urgence est pour l’instant de ne rien décider et de laisser traîner les choses.

Se pose également le problème du nombre maximal de membres du Conseil de sécurité souhaitable pour un travail efficace. Les points de vue divergent en la matière. S’agit-il de 20 ou de 21 ? Voire de 25 ? Il est certain qu’une augmentation trop forte pourrait conduire à une paralysie préjudiciable.

Francis DASPE Février 2007

Géopolitique et lieux stratégiques

La politique des corridors en Amérique latine

L’Amérique latine est aujourd’hui marquée à la fois par l’hégémonie du Brésil, puissance émergente membre du club des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), et par l’ingérence des Etats-Unis qui la considère depuis le XIX° siècle comme sa chasse gardé et sa zone d’influence exclusive. Elle est également fragmentée dans le domaine socio-économique entre des pays aux niveaux de développement extrêmement inégaux.  Elle est animée par des dynamiques de relations diplomatiques et géopolitiques contradictoires, avec des initiatives de coopérations régionales et l’existence de tensions plus ou moins fortes.

Concernant ce qu’il est de coutume de nommer des coopérations régionales, elles se résument la plupart du temps à la mise en place, plus ou moins timide, plus ou moins poussée, plus ou moins vastes, de zones aspirant au triomphe du libre-échange dans la logique de la mondialisation effectuée sur des bases néolibérales. L’Amérique en compte le plus grand nombre. Il en existe plus d’une dizaine, dont les principales sont ou ont été le Mercosur, l’Alba ou alliance bolivarienne pour les Amériques (celle-ci ne se conformant pas au dogme libre-échangiste), Unasur etc. Cette multiplication de coopérations régionales est en fait un signe de fragmentation, voire de tensions structurelles. Signalons que les échanges entre Etats de cette zone regroupant les états latino-américains ne représentent que 15% de la totalité des échanges. L’essentiel des productions de la zone est donc exporté vers les marchés mondiaux.

Dans cette optique, les projets de « corridors de développement » actuellement mis à l’agenda peuvent se révéler être des leviers tant pour désenclaver certains territoires que pour renforcer par voie de conséquence l’intégration à la mondialisation de cette région n’appartenant pas aux pôles de la Triade qui dominent les flux et la production de la planète.

Il existe pour l’heure deux grands corridors. Tout d’abord, un corridor ferroviaire bi-océanique (Atlantique / Pacifique) long de 3 755 kms, allant du port de Santos au Brésil à celui d’Ilo au Pérou. L’objectif consiste à réduire le temps de transport du Brésil à la Chine de  67 à 42 jours (soit un gain de 25 jours). Ensuite, un corridor routier bi-océanique central de 2 472 kms dont les extrémités sont Porto Alegre au Brésil  et Coquimbo au Chili.

Ces corridors sont en partie financés par la Chine. Ils s’inscrivent dans le prolongement des nouvelles routes de la soie lancées par Pékin. Ils sont envisagés comme une alternative au passage traditionnel par le canal de Panama. L’intérêt de la Chine provient du fait que l’Amérique latine possède l’une des plus grandes réserves minérales de la planète (lithium, argent, cuivre, étain, fer, bauxite, nickel), ainsi que d’importantes réserves de pétrole. Sans oublier que s’y trouvent environ 30% du total des ressources  en eau renouvelables dans le monde, ce qui n’est pas négligeable quand on sait à quel point l’eau devient une ressource stratégique avec de forts enjeux géopolitiques.

Un panorama rapide de la situation géopolitique de l’Amérique ne peut pas éluder deux autres dimensions à prendre en compte. Seuls deux Etats sont enclavés et privés d’accès à la mer : la Bolivie et le Paraguay. Il existe des revendications émanant de la Bolivie pour retrouver un débouché sur l’océan pacifique. Elles s’adressent à destination du Chili. La guerre du Pacifique, entre 1879 et 1883, avait vu la Bolivie perdre 400 kms de façade maritime. Les souvenirs ne se sont pas totalement estompés, des deux côtés. Le Chili argue du fait que la Bolivie bénéficie d’une libre circulation des biens et des personnes sur le territoire chilien permettant d’aller jusqu’à l’océan Pacifique. La Bolivie estime la situation insatisfaisante, en tout cas la privant d’une pleine souveraineté.

De leur côté, les Etats de l’isthme d’Amérique centrale émettent des projets de corridors interocéaniques. Par la nature même de l’isthme, ils seraient évidemment d’une ampleur bien inférieure à ceux évoqués pour le sous-continent sud-américain. Ils sont d’autant plus difficile à envisager concrètement que la zone méso-américaine cumule de forts handicaps : insécurité, instabilité politique, pauvreté élevée et structurelle, risques sismiques et climatiques, fragilité des infrastructures, risques de rupture des trafics etc.

L’Amérique latine est bien un des nouveaux champs de bataille opposant les Etats-Unis et la Chine. C’était une région considérée comme son arrière-cour par les Etats-Unis. Mais la Chine est devenue en quelques années le principal financier de l’Amérique latine, avec 153 milliards de dollars, et ce devant les grandes institutions comme la Banque mondiale (84 milliards) et la Banque interaméricaine de développement (141 milliards).

Sylvie ERBANI  05 / 09 / 2021

Les nouvelles routes de la soie chinoises

La stratégie des « nouvelles routes de la soie » ont été lancées en 2013 par le président chinois Xi Jinping. Le projet est dénommé OBOR (one belt, one road ou une ceinture, une route). Il s’agit en réalité d’un axe stratégique qui doit permettre à la Chine de renforcer sa puissance mondiale et son ouverture à la mondialisation. Le projet s’inspire de la route de la soie historique. 

Elles prennent la forme concrète d’un maillage d’autoroutes et de voies ferrées rapides, avec des ports, des lignes ferroviaires, des aéroports et des parcs industriels afin de densifier la mise en réseau.  Le déploiement visé se réalise selon deux axes, un axe terrestre et un axe maritime. L’objectif est de relier la Chine au reste de l’Asie, à l’Europe et à l’Afrique. 

Elles se composent en premier lieu d’une liaison ferroviaire longue de 12 000 kms, de Yiwu en Chine, sur le littoral près de Shanghai, jusqu’à Londres. Le trajet est prévu pour durer 18 jours. La liaison est dotée de lignes secondaires complémentaires, notamment avec une bifurcation partant du centre de la Chine pour rejoindre Singapour. 

En second lieu, est organisée une liaison maritime, partant des côtes de la Chine, passant par le détroit de Malacca,  la mer Rouge, le canal de Suez, allant jusqu’à Venise. La liaison est enrichie et diversifiée avec l’existence de correspondances à destination du golfe persique et de l’Afrique. Le dispositif maritime s’accompagne de bases portuaires destinées à protéger les nouvelles routes. C’est en cela que consiste la désormais célèbre stratégie du « collier de perles » inquiétant les Etats-Unis. Enfin, les nouvelles routes de la soie intègrent le choix de procéder à des investissements significatifs de la part de compagnies chinoises dans plusieurs ports situés sur le trajet à des endroits souvent stratégiques (Le Pirée à Athènes est un exemple bien connu, mais aussi Haiphong au Viêt-Nam, Kolkata ou anciennement Calcutta en Inde, Colombo au Sri-Lanka).

En complément à ces nouvelles routes de la soie, la Chine a opté pour une stratégie des « corridors terrestres de développement ». Il en existe un certain nombre, visant à connecter le territoire chinois à des endroits stratégiques et où s’expriment des enjeux jugés d’importance. C’est le cas, à titre d’exemples, du corridor Chine / Mongolie / Russie sibérienne, du corridor Chine / Bangladesh / Inde, du corridor Chine / Asie du Sud-Est, du corridor Chine / Pakistan avec un débouché sur le port de Gwadar afin garantir un accès direct au Moyen-Orient, du corridor Chine / Asie centrale, du corridor appelé « nouveau pont eurasiatique » allant jusqu’à Moscou.

Le dispositif est conçu avec des prolongements à destination de l’Afrique. Deux lignes ferroviaires à proximité de la côte Est de l’Afrique sont cofinancées par la Chine. Elles relient d’une part Djibouti à la capitale de l’Ethiopie Addis-Abeba, d’autre part Nairobi à Mombasa à travers le Kenya. Un corridor ferroviaire bi-océanique Indien / Atlantique permettra de traverser le continent africain de Dar es Salam en Tanzanie à Lobito en Angola.

A l’échelle mondiale, la conquête commerciale de la Chine via les routes de la soie est indissociable de sa montée en puissance militaire et surtout navale. Dans la compétition qui s’engage, les atouts de la Chine sont notables : d’importantes réserves financières, un réservoir de main-d’œuvre considérable, une remarquable puissance des géants publics dans le secteur des infrastructures. L’enjeu géopolitique fondamental reste de satisfaire les énormes, et toujours croissants, besoins chinois en énergies et en matières premières. Il ne faut pas sous-estimer par ailleurs que les prêts institutionnels chinois sont accordés sans aucune condition politique, contrairement à ceux émis par les pays occidentaux.

A l’échelle, cette stratégie rencontre pour la conforter la politique du « Go West ». Celle-ci vise, dans une perspective d’aménagement du territoire,  à opérer un effort de rééquilibrage de la Chine vers l’intérieur. En effet, les régions continentales de l’Ouest recouvrent 56 % du territoire, pour seulement 11% de la population et 8% de la richesse nationale produite. Une impulsion a été décidée, à la suite de la crise financière de 2008. Cette dernière avait touché surtout les provinces exportatrices du littoral frappées par la baisse des demandes à l’étranger. Ce « Go West » bénéficie notamment à la municipalité de Chongqing, peuplée par presque 35 millions d’habitants selon les données du dernier recensement. Elle dispose d’une position stratégique sur la route du Tibet et de l’Asie centrale qu’elle a su et pu valoriser.

Cependant, la Chine doit faire face à quelques difficultés dans la réalisation de ces nouvelles routes de la soie. La répression de la minorité musulmane ouïgoure du Xinjiang représente un caillou dans la chaussure gênant. Le territoire, annexé en 1884, est considérée par les autorités chinoises comme une région stratégique. Elle possède des ressources minières et pétrolières. Par sa position, c’est une tête de pont stratégique pour les nouvelles routes de la soie.

La question environnementale impacte ce projet des nouvelles routes  de la soie. Celles-ci pourraient menacer de manière significative la lutte contre le réchauffement climatique. En effet, des infrastructures, comme les barrages et les centrales à charbon, sont accusées d’occasionner des dégâts majeurs à l’environnement. Ces dégradations seraient de nature à remettre en cause les objectifs de l’accord de Paris de 2015, qui ambitionnait de maintenir la température moyenne mondiale en dessous de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels.

Enfin, elles suscitent méfiance, opposition et réaction de la part de ses concurrents. C’est ainsi que le concept de « routes de la liberté » a été forgé, en réaction au projet chinois. La formule émane de l’ancien premier ministre japonais, Shinzo Abe. Le slogan d’un  « Indo-Pacifique libre et ouvert » est porté conjointement par le Japon et l’Inde, avec des projets concurrents de corridors.

Sylvie ERBANI 08 / 09 / 2021

La mer de Chine méridionale

La mer de Chine méridionale est une passerelle entre les océans Pacifique et Indien. Elle fait office de carrefour stratégique au cœur de l’aire Asie-Pacifique. Il s’agit d’un espace qui concerne l’essentiel des échanges de la mondialisation, souvent considéré come le poumon de l’économie mondiale avec 45% du PIB mondial et, surtout, 60% de la croissance de l’économie mondiale. La zone rassemble par ailleurs les deux tiers de la population. En plus d’être un espace majeur dans les échanges maritimes mondiaux, c’est donc une artère maritime vitale et un espace stratégique et convoité.

La première raison de l’attractivité de la mer de Chine méridionale s’explique par sa richesse en ressources. Elle possède des hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) et ressources halieutiques (poissons). C’est également source de tensions et de conflits. De manière générale, l’exploitation des ressources permet à la Chine de revendiquer une extension des ZEE (zone économique exclusive). Les zones économique exclusives vont jusqu’à 200 milles (soit 370 kms) de la côte, où la circulation est libre pour tous (navigation maritime et survol aérien), mais où l’Etat riverain exerce des droits exclusifs d’exploitation, d’exploration et de gestion des ressources.

Ce zonage de l’espace maritime provient de la Convention de Montego Bay de 1982. Elle distinguait en amont des ZEE les eaux eaux territoriales sur lesquelles s’exerce la souveraineté de l’Etat riverain (jusqu’à 12 milles), prolongées par une zone contiguë de 12 milles supplémentaires sur lesquelles l’Etat exerce des activités de contrôle d’un certain nombre d’activités, de douanes, fiscales, sanitaires ou d’immigration. Au-delà de la ZEE, ce sont les eaux internationales se caractérisant par la liberté de navigation, de survol, d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles (à l’exception des ressources minières). Cela signifie qu’aucune juridiction nationale ne s’y applique, à l’exception de celle s’appliquant à chaque navire en fonction de son pavillon, qu’il soit de complaisance ou pas.

Les ZEE possèdent des tracés potentiellement conflictuels. C’est par exemple le cas pour la pêche face au Viêt-Nam, ou le gaz naturel face aux Philippines. La pêche représente une activité majeure pour le Viêt-Nam : 7% du PIB, 4,5 millions d’emplois, 4° exportateur mondial. La pêche en haute mer permet de réaffirmer la souveraineté nationale du Viêt-Nam sur sa ZEE, non sans conflits avec la Chine, Taïwan ou les Philippines qui se traduisent par des arrestations régulières de bateaux et de pêcheurs. Les Philippines veulent exploiter les réserves d’hydrocarbures des fonds marins de Reed Bank (situés à 85 milles marins de la côte philippine) afin de remédier à son déficit énergétique. La Chine s’y oppose fermement, avec déploiement de navires de patrouille et menaces de guerre. La présence accrue de la Chine pourrait conduire pourrait conduire de facto au recul des sociétés pétrolières occidentales de cette zone riche en ressources naturelles.

Les tensions liées à l’exploitation des hydrocarbures concernent aussi les îles Paracels et Spratleys. Elles sont revendiquées par le Viet-Nam, mais aussi par Taïwan et les Philippines. Cela occasionne des conflits avec la Chine. La « guerre des noms » y fait rage : elles sont appelées Truong Sa et Hoang Sa en vietnamien, Nansha et Xi Sha en chinois. Chaque état revendique une antériorité d’occupation. Au-delà de l’exploitation des ressources présentes, ces îles ouvrent la possibilité de contrôler les grands détroits régionaux.

La zone constitue également un espace de concurrence entre la Chine et les Etats-Unis. Celle-ci se matérialise par la présence de bases militaires. Elles sont américaines aux Philippines et à Singapour (en plus de celles plus au Nord au Japon et en Corée du Sud). D’autres états y défendent leurs intérêts, avec l’ambition d’accéder au rang de puissances régionales reconnues ; c’est le cas de l’Indonésie, du Viêt-Nam, des Philippines ou de la Malaisie. Notons par exemple que le Viêt-Nam réfute d’appelle de mer de Chine du Sud : elle l’appelle de manière significative mer de l’Est…

La mer de Chine méridionale illustre le contexte de littoralisation et de maritimisation caractérisant la mondialisation, tant dans sa dimension économique que dans ses aspects géopolitiques. C’est l’occasion pour la Chine d’affirmer sa puissance, à l’échelle régionale comme à l’échelle mondiale. Elle déclare clairement la mer de Chine méridionale comme le « centre de ses intérêts vitaux » (par exemple au même titre que pour le Tibet et Taïwan). C’est que la mer de Chine méridionale débouche sur le détroit de Malacca. Le trafic y passant est en effet cinq fois supérieur à celui transitant par le canal de Suez, autre lieu stratégique de la planète. Le détroit de Malacca est la voie maritime unissant l’Asie de l’Est à l’Europe dans une même interdépendance. L’enjeu de la sécurité énergétique pour l’Asie de l’est qui importe via cette route 65% de son pétrole en provenance du Moyen-Orient est crucial. De manière identique, 90% du commerce de la Chine passe par Malacca.

Sylvie ERBANI 17 / 09 / 2021

Géopolitique et sport 

Les Jeux Olympiques

Le tableau des médailles des Jeux Olympiques de Tokyo reflète en réalité les hiérarchies géopolitiques de la planète. A de rares exceptions près, trois éléments influencent le classement obtenu à l’issue de la compétition : le poids économique, le volontarisme politique et la culture sportive. Le sport a toujours été au cours de l’Histoire une dimension politique et diplomatique. C’est plus que jamais un élément central du « soft power » d’un Etat aspirant à devenir une puissance à quelque échelle que ce soit. 

Au sommet du tableau d’honneur, se trouvent les deux Etats ambitionnant au rang d’hyper-puissances en vue de la domination de la planète. Les Etats-Unis devancent en effet la Chine. Cette dernière est en progression rapide, ceci depuis les doubles impulsions de 1980 (l’ouverture économique sous l’égide de Deng Xiaoping quelques années après la mort de Mao) et de 2008 (l’organisation des Jeux Olympiques de Pékin). La compétition entre les deux nouveaux « supergrands » s’étend au domaine du sport.

Les membres de la Triade (les trois pôles de puissance économique de la planète, qui reprend en fait les membres du groupe des pays riches les plus industrialisés, le G 7) sont ensuite très bien représentés. C’est le cas de l’Amérique du Nord, avec le Canada en 11° position, en plus des Etats-Unis. Le second pôle, l’Europe de l’Ouest, occupe les places suivantes avec 4 représentants (Grande-Bretagne 4°, France 8°, Allemagne 9°, Italie 10). Enfin, le Japon se classe en 3° position.

Il convient également de noter la persistance de la Russie, avec le Comité olympique russe en 5° du palmarès. La Russie, héritière de l’ancienne URSS, avait su faire pendant les longues années de la guerre froide du sport un enjeu géopolitique majeur. Il en reste des réminiscences, au même titre que les sanctions qui lui ont été infligées attestent de préoccupations identiques de la part de ses concurrents et adversaires.

Ces pôles de la Triade connaissent quelques prolongements. Ainsi l’Europe est très bien représentée dans les rangs suivants. Cela concerne d’abord les pays du reste de l’Europe de l’Ouest, qu’ils soient situés au cœur du continent (Pays-Bas 7°, Suisse 24°, Belgique 29°) ou en Scandinavie (avec un tir groupé Norvège 20°, Suède 23°, Danemark 25°). Des pays de l’ancien bloc de l’Est soviétique sont également présents, témoignant du maintien d’un volontarisme politique et d’une culture sportive, même pour des Etats de taille réduite : Hongrie 15°, Pologne 17°, République tchèque 18°, Croatie 26°, Serbie 28°, Bulgarie 30°, Slovénie 31°.  Notons enfin la présence à des rangs remarquables de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande en 6° et 13°. Ces Etats relèvent à la fois du prolongement de la vitalité économique de la zone Asie-Pacifique que de la sphère de peuplement et de culture européens.

Les pays émergents se positionnent ensuite très vite.  Entre les pays riches du G 7 et les états européens de taille plus modeste pour ceux dont le niveau de développement les rapproche des pays riches industrialisés : Brésil 12, Corée du Sud 16. Au milieu de la seconde catégorie pour ceux dont le développement et intermédiaire : Iran 27, Taïwan 34, Turquie 35.

Cependant, il existe quelques cas de figure échappant à la logique que nous nous venons d mettre en avant. Il s’agit de pays disposant d’atouts particuliers ou de sortes de niches sportives. Entrent dans cette catégories Cuba 14° (le fruit d’un volontarisme politique et d’un choix de société), le Kenya 19° (l’endurance), la Jamaïque 21 (le sprint). Ajoutons, au-delà de la 30° place, l’apparition d’Etats qui bénéficient dans la même veine des niches de pratiques sportives identitaires (Ouzbékistan 32°, Géorgie 33°, Ouganda 36°) dans le champ de la lutte ou de l’athlétisme.

Terminons notre revue par les absents ou les déceptions de ce classement tellement géopolitique. Quelques pays émergents d’importance se retrouvent loin dans le tableau d’honneur des médailles, comme l’Inde 48°, l’Afrique du Sud 52°, l’Egypte 54°, l’Argentine 72° ou le Mexique 84°.  Sans parler de l’Indonésie, 4° population mondiale, qui n’a pas obtenu la moindre médaille. Les pays du golfe persique, malgré leurs efforts et leurs pétrodollars, se classent à un rang qi doit susciter une certaine déception : Qatar 41°, Arabie saoudite 77°.

Enfin, faisons attention aux illusions d’optique pouvant mener à des erreurs d’interprétations. On pourrait parler de déceptions pour l’Espagne 22° et l’Ukraine 44°. Mais il s’agit davantage d’une vision biaisée en raison du faible nombre de médailles d’or, respectivement 3 et 1, alors que le nombre total de breloques tous métaux confondus reste honorable (17 et 19).

Francis DASPE 18 / 08 / 2021

La bulle spéculative de l’économie du foot

Le football est devenu une activité économique à part entière. C’est un véritable business, n’en déplaise aux romantiques qui s’évertuent encore à mettre en avant le jeu et l’aspect désintéressé. Il génère des masses financières considérables, avec des salaires vertigineux et des inégalités significatives. Les acteurs majeurs parlent de modèles économiques, au pluriel afin de marquer la diversité des situations propres à chaque pays et à chaque pays, ou même à chaque club. Cet argument sert de justification à l’existence de salaires et de profits sans commune mesure avec la vie réelle du plus grand nombre. Pour mettre en avant en quelque sorte une exception sportive ou footballistique.

En fait, le football prend les allures d’une immense bulle spéculative. Une bulle spéculative prête à exploser à tout moment, la crise sanitaire de la Covid-19 ayant aggravé les fragilités structurelles. Le transfert de Lionel Messi en a montré quelques uns des aspects les plus immédiats. Le niveau des salaires n’est plus tenable, y compris pour les plus grands clubs les plus fortunés. Messi est parti de Barcelone car son club de toujours n’a pas pu lui garantir un salaire pourtant nettement revu à la baisse. Beaucoup de clubs ont dû négocier avec leurs stars des salaires à la baisse ou des reports de versements des salaires sur les années suivantes. Beaucoup de clubs n’ont pas pu recruter tant qu’ils n’avaient pas vendu. Ils devraient pour cela dégraisser leurs effectifs et amaigrir leurs masses salariales.

Dans la même logique, la démonstration à été faite que les droits télévision, sur lesquels repose en grande partie l’économie du football, étaient notoirement surévalués et reposaient sur des fondements fragiles.

La puissance publique est venue de diverses manières en aide à ce qu’il est convenu d’appeler des très grandes entreprises sportives. L’objectif était de soutenir cet édifice brinquebalant mais essentiel au maintien de la paix sociale. Car c’est quasiment la crainte d’émeutes populaires en cas de mise en danger des clubs favoris de nombreux supporters survoltés.

En somme, nous avons affaire à nouveau au primat de la priorité octroyée à l’époque romaine pour garantir au peuple « du pain et des jeux » (panem et circenses). Le football combine en réalité la tradition des jeux du cirque des temps modernes et la nouveauté incertaine d’une bulle spéculative prête à exploser.

Francis DASPE 04 / 09 / 2021

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