La géopolitique commande à la politique

La géopolitique est quasi systématiquement la grande oubliée des réflexions politiques et de l’élaboration des programmes électoraux. Pourtant, les urgences géopolitiques s’imposent à nous tous, qu’on le veuille ou non, nombreuses, récurrentes, impérieuses et complexes. C’est qu’en réalité la géopolitique très souvent commande à la politique. Nul ne peut s’exonérer d’une prise en compte des rapports de forces et des contraintes géopolitiques. Si comme Clausewitz le disait au début du XIX° siècle, la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, nous pourrions semblablement dire que « la politique est la résultante de réalités géopolitiques qui constituent un cadre permanent de l’action militante quotidienne et du gouvernement des Etats ».

L’actualité nous rappelle sans cesse au primat de la géopolitique. Cet été, la prise du pouvoir éclair par les talibans en Afghanistan, dans le prolongement de la débâcle enregistrée par les Etats-Unis, fut l’occasion pour beaucoup d’une nécessaire remise à niveau. L’ignorance de certaines réalités tenaces explique a posteriori les échecs cinglants de certaines menées aventureuses, quand bien même elles le seraient par de grandes puissances se croyant à l’abri de tels désagréments.

Méditons à cet égard les propos de Maximilien Robespierre, extraits de son discours sur la guerre qu’il prononça le 2 janvier 1792 devant la Société des Amis de la Constitution : « La plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique, est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un peuple étranger, pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis. ». Oui, pour prolonger l’heureuse citation de l’Incorruptible, les peuples n’aiment jamais les missionnaires armés se proposant d’exporter la liberté à la pointe de leurs fusils…

Moins spectaculaire, mais pas forcément moins structurante et impactante pour la réalité des relations géopolitiques planétaires, l’affaire qui vient d’être dévoilée ces derniers jours concernant le contrat de sous-marins que l’Australie devait commander à la France. Celle-ci se targuait d’avoir signé en 2016 le contrat présenté comme celui du siècle prévoyant la livraison à l’Australie par Naval Group de douze sous-marins conventionnels (avec en contrepartie les désormais inévitables transferts de technologie qui à moyen terme sont de nature à remodeler les hiérarchies économiques et géopolitiques).

Il s’agissait du plus important contrat passé pour du matériel de défense à un industriel français. Finalement, ces sont les Etats-Unis et leur allié anglais qui empocheront le pactole du marché. C’est un coup très dur pour la stratégie indopacifique de la France. La Chine a pour sa part déjà réagi en dénonçant « une clique irresponsable » dont les agissements sont de nature à « saper gravement la paix et la stabilité régionales, intensifier la course aux armements, compromettre les efforts internationaux de non prolifération nucléaire ». Rien de moins !

La sentence formulée par de Gaulle, indiquant que « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », a été opportunément rappelée pour montrer à quel point la géopolitique n’est pas une affaire de « bisounours », pour utiliser une expression familière dénotant avec les us et coutumes traditionnels de la diplomatie. Nous en forgerons une autre, toute autant explicite, afin d’illustrer de manière concrète les règles aléatoirement cyniques des relations géopolitiques. « Les ennemis de mes ennemis doivent devenir mes amis, même si je sais qu’ils pourront plus tard être des ennemis ». Cela conduit souvent à jouer avec le feu, et de fait, à se transformer davantage en pyromane qu’en pompier. Les Etats-Unis s’y sont essayés plus que de raison. Ils s’y sont parfois brulé les ailes. Pour s’en convaincre, on pourra se contenter de se remémorer que dans les années 1980 Saddam Hussein et Oussama Ben Laden furent à la fois des créatures et des amis des Etats-Unis.

Saddam Hussein fut le cheval sur lequel paria la CIA dirigée par Bush père pour peser dans les évolutions politiques tourmentées et incertaines en Irak au dès les années 1960 et 1970. A la suite de quoi il devient un allié particulièrement choyé, notamment au moment du conflit qui éclata à partir de 1979 entre les Etats-Unis et l’Iran de la révolution islamiste, puis de 1980 avec la féroce guerre Iran / Irak. Dans le contexte de la guerre froide et de l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en 1979, Oussama Ben Laden, jeune milliardaire saoudien qui s’engagea dans le djihad, fut aidé et financé par la CIA pour devenir un élément reconnu du dispositif destiné à lutter contre « l’empire du mal », formule alors utilisée par Ronald Reagan, président des Etats-Unis de 1981 à 1989.

Aujourd’hui, la mondialisation, et ses apôtres zélés, voudraient donner l’impression qu’elle atténue par nature et effet magique les tensions géopolitiques. C’est un grossier subterfuge. Au contraire, elle repose, et les actionne, sur une multitude de tensions géopolitiques pouvant aisément se transformer en conflits, et à l’occasion, dégénérer en guerres ouvertes. Elle suscite concurrences impitoyables et compétitions sans foi ni loi pour la conquête de marchés. Elle ressuscite des formes renouvelées d’impérialismes et de néo-colonialismes. Bref, elle se situe bien loin de l’image idyllique prêtée par certains d’une mondialisation se voulant heureuse.

En définitive, la géopolitique pose frontalement une question essentielle, celle de la souveraineté des Etats et des peuples. C’est-à-dire de la capacité de chacun à garder le contrôle sur son destin collectif. Car la souveraineté nationale et la souveraineté populaire vont nécessairement de pair, sous peine d’en proposer des versions peu opératoires pour la première ou désincarnées pour la seconde.

Pour être à la hauteur des enjeux géopolitiques, l’AGAUREPS-Prométhée entend en faire un fil rouge de ses réflexions et de ses analyses. Elle y reviendra régulièrement, et notamment consacrera au moins une fois annuellement sa lettre mensuelle à ces thématiques.

Francis DASPE

18 / 09 / 2021

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