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Europe : le verrou et la pelote

Tribune parue dans L’Humanité le 24 novembre 2023

Par Francis Daspe, secrétaire général de l’Agaureps-Prométhée

La question européenne est centrale. Les bases sur lesquelles s’est réalisée la construction
européenne agissent à l’égal d’un verrou. Ce n’est pas une exagération d’affirmer qu’une grande
partie des politiques menées dans chacun des États membres de l’Union européenne (UE) sont
pilotées par ses instances. Les différents projets doivent passer sous les fourches Caudines de la
concurrence libre et non faussée. Il en résulte l’injonction à multiplier les privatisations. Les
directives de libéralisation affectent de plein fouet les secteurs de l’énergie ou des transports,
déstabilisant les services publics.
La politique fiscale est orientée vers la baisse des impôts redistributifs au motif qu’ils
mettraient en danger l’investissement et la croissance, pour favoriser les taxes particulièrement
douloureuses pour les catégories modestes. Des retraites à la loi territoriale, chacune de ces
réformes ayant été qualifiée en leur temps par l’UE de « mère des réformes », c’est la déclinaison
progressive et inéluctable de l’agenda des instances de Bruxelles qui s’impose.
Tout cela n’est rendu possible que par l’acceptation préalable des États à se dessaisir de leur
souveraineté en de nombreux domaines touchant aux questions économiques et financières. Le
verrou a été actionné par ceux qui se trouvent dépossédés de leurs prérogatives démocratiques. Il
s’agit en réalité d’un jeu de rôle bien huilé, dévoilant les mécanismes d’une connivence entre
oligarchies, induits par les effets d’une gouvernance de classe. Pourtant, les possibilités de se
libérer du carcan « européiste » existent, pour peu que la volonté ne fasse pas défaut. Il suffirait de
dérouler la pelote en tirant l’un des nombreux fils la constituant. Ce pourrait être le cas de la
procédure de l’« opting-out ». Le terme désigne les options de retrait de certaines politiques
communes européennes. Quand un État considère que ses intérêts vitaux ou stratégiques sont mis
en danger, il peut s’en retirer.
Méditons le discours prononcé le 18 janvier 1958 devant l’Assemblée nationale par Pierre
Mendès France, à l’occasion du débat relatif à la ratification du traité de Rome. « Le projet du
marché commun est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle, selon lequel la concurrence
pure et simple règle tous les problèmes. (…) L’abdication d’une démocratie peut prendre deux
formes, soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme
providentiel, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure laquelle au nom de la
technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient
aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens
le plus large du mot, nationale et internationale. »
N’y a-t-il pas de plus belle illustration du déficit démocratique qui entache la construction
européenne, entre verrou tiré sur les peuples et pelote épaisse à détricoter ?

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