L’acte III de la décentralisation contrevient à l’accomplissement de l’Ecole de l’égalité et de l’émancipation

Tribune parue dans l’Humanité le 30 octobre 2012

Francis DASPE est président de la Commission nationale Education du Parti de Gauche. Il est aussi secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée.

 

Plus que tout autre secteur, l’Ecole ne saurait être déconnectée de la société dans laquelle elle évolue. C’est ainsi que quelques-unes des orientations que s’apprête à adopter le gouvernement dans le cadre de la future loi d’orientation pour l’éducation sont impactées par l’acte III de la décentralisation ardemment souhaité par le Président de la République et sa nouvelle majorité, relayés en cela par le puissant lobby de l’association des régions de France (ARF).

La corrélation entre ces deux projets est pour nous source de profondes inquiétudes. Le système français d’éducation en passant sous les fourches caudines de cette forme de décentralisation, guidée par les postulats libéraux et les injonctions européennes, s’en retrouvera notoirement affaibli. Deux outils, déjà privilégiés depuis plusieurs décennies par les libéraux de droite comme de gauche (songeons aux basses œuvres enclenchées par Claude Allègre en son temps pour distribuer équitablement ce qui revient à chacun), vont poursuivre à plein l’entreprise de déstabilisation de l’institution scolaire : l’autonomie et l’adéquationnisme.

 

Les deux procèdent pareillement d’un incompréhensible aveuglement idéologique. Ils contreviennent de fait à l’ambition collective caractéristique d’une Ecole de la République fidèle à sa raison d’être : la recherche de l’égalité et la promotion de l’émancipation.

L’idée qu’il pourrait exister une « bonne autonomie » par opposition à celle, réellement destructrice, développée par la droite relève de la supercherie. L’autonomie, dopée par le nouvel acte de décentralisation, accentuera le démantèlement méthodique du principe d’égalité territoriale en procédant à la casse de tous les cadres nationaux (examens, programmes, diplômes, statuts etc.). Davantage qu’à une école à deux vitesses, c’est à un processus de balkanisation auquel serait voué notre système éducatif.

La promotion simultanée de plus d’autonomie à l’école et de décentralisation dans les rouages de la République se fonde sur raisonnement erroné. On présente à cet effet comme une ardente nécessité le renforcement sur un même territoire de l’adéquation entre les formations dispensées et le marché du travail. Fausse bonne idée que cette présentation des faits se drapant d’un prétendu bon sens. L’adéquationnisme se situe aux antipodes de l’impératif d’émancipation individuelle et collective, traduisant des formes renouvelées d’enfermement et d’engoncement localistes. Il s’agit d’une vision court-termiste fondée sur les seuls besoins des entreprises. La mission de l’école consiste au contraire à donner à chacun le choix de son destin, ici ou ailleurs, en rendant possible tous les horizons.

 

Autonomie et adéquationnisme constituent une régression spectaculaire dans la longue marche de la construction de l’Ecole de la République. Ils se situent en effet à rebours d’une évolution séculaire : c’est contre les agissements des féodalités locales, les revendications clientélistes et les intérêts économiques privés qu’a pu émerger une école se rapprochant de l’intérêt général. Il lui reste cependant à réaliser des progrès significatifs pour devenir réellement l’Ecole du peuple[1]. L’acte III de la décentralisation se révèlera en être un robuste obstacle en racornissant la force propulsive des principes d’égalité et d’émancipation, piliers d’une Ecole du peuple que nous appelons de nos vœux à s’accomplir, sans entraves, dans toute sa plénitude.


[1] Voir le livre de François COCQ et Francis DASPE, « L’Ecole du peuple. Pour l’égalité et l’émancipation », éditions Bruno Leprince, août 2012

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