Instruire, Qualifier, Emanciper

Tribune parue dans Sud-Ouest le 9 avril 2013

 

Francis DASPE, président de la Commission nationale Education du Parti de Gauche.

Le décret du 24 janvier 2013 sur les rythmes scolaires ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt de la contestation. Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République suscite lui aussi de fortes inquiétudes. Certes moins médiatisées, elles n’en sont pas moins profondément structurelles.

La faiblesse du projet ministériel réside dans le flou des missions dévolues à l’institution scolaire et dans l’insuffisance du projet de société. Toute velléité de refondation de l’Ecole de la République passe pourtant par l’articulation entre les deux.

Les missions que nous assignons à l’Ecole sont résumées par le triptyque « Instruire, Qualifier, Emanciper ». Elles s’inscrivent dans le prolongement de l’ambition affichées par le rapport Langevin-Wallon de former d’un même élan « l’homme, le travailleur et le citoyen ».

 

Hélas, les soubassements idéologiques du projet de loi s’inscrivent trop souvent dans la continuité des deux précédents quinquennats. Ils contreviennent à la pleine réalisation de chacune des trois composantes du triptyque. Comment parler d’instruire dès lors que le socle commun est confirmé comme colonne vertébrale du dispositif ? Cette conception minimaliste et utilitariste des savoirs, consacrant une école à plusieurs vitesses, s’y oppose frontalement.

Comment afficher l’ambition de qualifier tout en ne jurant que par l’égalité des chances ? Ce concept libéral ignore la persistance des inégalités sociales inhérentes à une société de classes. En institutionnalisant à tous les étages la compétition et la concurrence sauvages, il signifie le renoncement à l’ambition collective devant animer une école de la République soucieuse d’élever le niveau général de qualification.

Comment prétendre à émanciper tout en cherchant à appliquer de manière compulsive la déclinaison de l’acte III de la décentralisation ? Cette dernière met à bas les cadres nationaux garants d’une égalité territoriale même imparfaite. L’« adéquationnisme » entre offre de formation et marché de l’emploi dans un bassin qui en est le corollaire conduit à un enfermement territorial, obstacle majeur à toute émancipation.

 

Ces impasses idéologiques s’expliquent par l’indétermination et la carence du projet de société, insuffisamment orienté vers une réelle alternative sociale, beaucoup trop d’accompagnement à l’ordre économique établi. L’école de la République ne se situe pas en dehors des enjeux politiques immédiats : elle ne peut être réduite à une simple question technique. Elle passe au final sous les fourches caudines d’un double renoncement que l’actualité récente a remis sur le devant de la scène. L’acceptation du cadre contraint de l’austérité conduit inexorablement à la dissolution des ambitions d’une école même élevée au rang de priorité. Le refus de  reconnaître l’existence de conflits de classes dans une société inégalitaire constitue une capitulation aux multiples répercussions dans le champ éducatif. C’est ainsi que des mesures qui avaient fait l’unanimité contre elles, réforme du lycée, bac professionnel en trois ans, loi Carle, ont été sanctuarisées au mépris des promesses.

 

Un sursaut s’impose d’urgence. La refondation de l’école de la République a besoin à la fois d’un autre logiciel et d’un autre projet de société. Les deux doivent promouvoir une ambition de transformation sociale radicale. C’est à ces seules conditions que les missions d’instruction, de qualification et d’émancipation relèveront enfin du domaine du possible.

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