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Vers la fiscalité progressive : l’emprunt forcé

Tribune de François COCQ et Francis DASPE parue sur le site de Mediapart. Il s’agit du troisième épisode des Chroniques de la République montagnarde disponibles dans la Lettre du mois de l’AGAUREPS-Prométhée. 

 

Le 8 mai 1793, devant le club des Jacobins, Robespierre faisait appel, non sans solennité, au peuple immense des sans-culottes. L’Incorruptible affirmait que celui-ci, « s’il ne peut quitter ses travaux, doit les faire payer par les riches ». En plein conflit entre Girondins et Montagnards, il s’en prenait aux « culottes dorées » dont la seule préoccupation était la préservation de leurs richesses, qu’elles proviennent d’un héritage ou soient d’acquisition récente. La capacité de persuasion de Robespierre et la pression populaire de la commune de Paris conduisaient douze jours plus tard la Convention, à majorité pourtant encore girondine, à voter sur proposition de Cambon[1] un emprunt forcé d’un milliard de livres sur les riches. Il pouvait servir à acheter des biens nationaux et représentait jusqu’à 50% des revenus pour les plus aisés[2].

Plus de deux siècles plus tard, c’est de manière iconoclaste un ministre issu du Parti socialiste qui fait le premier état d’un « ras-le-bol fiscal » et sonne ainsi l’hallali contre l’impôt. Auto-contraint par la doxa budgétaire européenne, le gouvernement de l’An II du hollandisme cherche à se donner de l’air en multipliant les taxes comme au temps de l’Ancien régime. Mais il entraine la remise en cause de l’impôt progressif et redistributif que la République montagnarde avait contribué à faire émerger.

Une mesure révolutionnaire

L’impôt forcé était de fait une mesure révolutionnaire. Il s’agit à ce stade d’instaurer un « impôt remboursable ». Comme nous l’explique Jaurès, « il était impôt, puisqu’il était forcé et qu’il ne portait pas d’intérêt. Il était emprunt, puisque la somme ainsi imposée devait être rendue, mais rendue en domaines nationaux ». En cela, cette mesure permettait « d’attacher des millions de citoyens au succès de la Révolution ; puisque le gage de l’emprunt aurait disparu avec la Révolution elle-même ».

Mais surtout, l’emprunt forcé est l’occasion d’introduire dans le système fiscal de la Révolution deux notions décisives : la déclaration et la progressivité. Ainsi, les décrets d’application stipulent que : « Les citoyens tenus de contribuer à l’emprunt forcé remettront au greffe de la municipalité de leur domicile, et à Paris, au Comité civil de leur section, une déclaration exacte de leurs revenus pendant l’année 1793 et des charges qui les diminuent ». Dès lors, un tarif fortement progressif était appliqué, avec 10 tranches de 1000 francs jusqu’à 9000 francs, dont le taux augmentait à chaque fois d’un dixième. Par ailleurs, « Au-delà de 9000 livres de revenus, à quelque somme qu’il s’élève, la taxe sera, outre les 4500 livres dues pour 9000 livres, la totalité de l’excédent ».

Un rapport de force politique

L’emprunt forcé met l’accent sur la nécessité de créer et soutenir un rapport de force pour imposer des mesures de rupture progressistes. D’un point de vue des rapports de force politiques internes à la Convention, il contribue au basculement idéologique qui entraînera la chute de la Gironde (31 mai / 2 juin 1793). C’était en effet indiquer clairement que la révolution, principalement dans sa dimension sociale, restait à accomplir. Le combat ainsi engagé demandait détermination et constance. Il se nourrissait des revendications du peuple et entendait traduire jusqu’au bout cette souveraineté nouvelle. La comparaison avec le discours du Bourget de François Hollande le 22 janvier 2012 s’impose alors d’elle-même. Convenons qu’en proclamant « L’ennemi c’est la finance », il s’agissait d’un discours volontariste qui a pu faire impression ou illusion. L’auditeur bien disposé (ou naïf) pensait alors qu’il s’agissait de créer un rapport de force qui devienne favorable au camp du travail ou, comme le disait Gramsci, un acte posé pour reconquérir l’hégémonie culturelle. C’était la seule voie praticable si l’on voulait véritablement « casser les reins » de la finance. Hélas, il n’en fut rien. Quelques jours après, devant la City de Londres, le candidat révélait, penaud, sa nature profonde en concédant : « I am not dangerous ». Confirmation dès son arrivée au pouvoir quand le nouveau Président de la République divorça d’avec le volontarisme affecté du candidat. Il céda devant Merkel. Il capitula devant les revendications du Medef et les injonctions des « pigeons » et autres « poussins ». Il accepta le cadre contraint de l’austérité.

Le renoncement solférinien en matière fiscale

Dès lors, la reconnaissance par Pierre Moscovici de l’existence d’un supposé « ras-le-bol fiscal » apparaît clairement comme une manœuvre machiavélique pour renvoyer aux calendes grecques la réalisation de la grande réforme fiscale attendue et nécessaire[3]. A l’inverse, la bête mord la main qui la nourrit. La liste des capitulations faites aux patrons, aux actionnaires et aux « pigeons » s’allonge depuis 18 mois : l’augmentation de la TVA, le rapport Gallois débouchant sur des cadeaux présentés au nom de l’impératif de compétitivité, les 20 milliards d’euros accordés sans contrepartie au patronat au titre du Crédit Impôt Compétitivité (CICE), la dénonciation récurrente d’un présumé coût du travail. Et pour couronner le tout, le refus obstiné d’une quelconque limitation des salaires et des revenus des grands patrons, préférant s’aligner sur le Medef en s’en remettant à un introuvable et insaisissable sens de la responsabilité des dirigeants des entreprises françaises. Pour autant, pas même reconnaissants, le même argument est toujours allégué par les possédants : « c’est confiscatoire ! », clament-ils au bord de l’évanouissement, stigmatisant « l’atroce guillotine du fisc ».

Au-delà de ces réflexions, c’est à une dissolution de la notion même de l’intérêt général à laquelle on assiste. Il existe de fortes incitations à trouver des solutions individuelles à des problèmes collectifs, sanctionnant à bon compte le renoncement à toute ambition collective. Ceux qui symbolisent le plus fortement ce délitement sont les exilés fiscaux. Ils cherchent par tous les moyens à se dérober à leur devoir de citoyen. Ils refusent, par égoïsme, d’apporter leur contribution au financement et à la construction d’un projet commun. Pourtant, il ne serait pas compliqué de les faire revenir un tant soit peu dans les rails de l’intérêt général. Il suffirait pour cela de faire preuve d’un minimum de volonté. Sans parler d’un quelconque attachement héroïque à l’idée de justice fiscale et sociale digne de « partageux », puisque mêmes les Etats-Unis y parviennent. Ils taxent en effet leurs exilés fiscaux de la différence qu’ils auraient pu ou crû se dispenser de payer s’ils en étaient restés au seul taux d’imposition du pays d’accueil. Cette mesure, même Nicolas Sarkozy l’agita lors de sa campagne de 2012. Quant à croire que l’ex-président des riches l’eût appliquée en cas de réélection, c’est une autre paire de manche. A voir comment Jean-François Copé tenta de railler Jean-Luc Mélenchon quand celui-ci en fit un axe fort de son programme, et ce à peine quelques semaines plus tôt, on peut sans crainte affirmer que se poser la question confinerait à de la naïveté. Plus largement, on estime que la fraude fiscale s’élève à 70 milliards annuels en France et 2000 milliards en Europe selon un rapport remis par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale en octobre 2013 !  

Taxe ou impôt ?

La progressivité induite dans l’emprunt forcé est d’autre part autrement plus révolutionnaire et juste que la prétendue réforme fiscale de l’An II du hollandisme. Il faut pour le mesurer se rappeler l’iniquité de la fiscalité d’Ancien régime. Le raccourci indiquant que plus on était riche moins on payait d’impôt est certes schématique, mais certainement pas foncièrement inexact. La fiscalité était à l’époque moins affaire d’impôts que de taxes. Ce n’est pas le principe redistributif qui présidait mais bien le fait royal pour mettre en œuvre les politiques décidées par un seul et le fléchage à dessein du produit de ces taxes pour entretenir le règne d’une oligarchie. 220 ans plus tard, la promesse d’une « grande réforme fiscale » par le candidat Hollande aurait dû s’inscrire dans le prolongement du basculement initié par la République montagnarde. Pourtant, auto-contraint par le semestre européen et la vassalisation volontaire auprès des autorités bruxelloises de la Commission européenne, le budget 2014 était marqué du sceau de l’ancien régime. Il est ainsi emblématique de constater que le gouvernement de l’An II du hollandisme fait le choix d’augmenter au 1er janvier 2014 la TVA, impôt inégalitaire s’il en est, taxe par définition. Là où l’impôt sur le revenu devrait jouer son rôle redistributeur, le gouvernement Ayrault privilégie des ponctions dont il flèche l’affection. En cela, il dessaisit le peuple souverain du choix de son utilisation. L’augmentation de la TVA servira ainsi à financer à hauteur de 6 milliards d’euros le Crédit impôt compétitivité (CICE), cadeau fait aux entreprises sans la moindre critérisation ni contreparties. Le dispositif se complète par des coups de rabot sur ce qui était rendu aux citoyens : baisse du plafond des allocations familiales, taxe sur l’accès aux mutuelles, suppression envisagée de l’aide aux familles pour les enfants scolarisés… L’objet n’est plus de promouvoir l’impôt pour l’affecter à ce qui collectivement est jugé digne d’intérêt général mais bien de soustraire du commun pour dégager des marges de manœuvre afin de financer les entreprises.

Enfin, la mention que nous avons faite dès la présentation de cette mesure n’est bien sûr ni fortuite ni anodine. En précisant qu’elle se chiffra pour les plus aisés à environ 50% de leurs biens, nous faisions ainsi apparaître en filigrane la taxe de 75% d’impôt au-delà du premier million que le candidat Hollande annonça lors d’une émission de télévision pour en faire une mesure phare de son programme. Ou plutôt de sa campagne de communication. Car il semble bien en effet que presque tout a été fait pour que cette mesure ne se concrétise jamais. Jusqu’à aller à des maladresses d’amateurs pour rendre inéluctable une censure par le Conseil constitutionnel ou à instaurer des « plafonds » pour en limiter les effets chez les plus riches (cette mesure sera ainsi plafonnée à 5% du chiffre d’affaire pour les clubs de football). A l’inverse, la mesure de l’An II de la République était autrement plus révolutionnaire puisqu’elle fixait un revenu maximum. Au-delà de 9000 livres, l’imposition était à 100 %, ce qui laissait un reste à vivre maximal de 4500 livres.

La progressivité de l’imposition que laissait augurer l’emprunt forcé de 1793 peine à être décliné en 2013. Pourtant, des propositions sont sur la table, comme celle qui, s’inspirant des mesures de l’An II de la République, augmenterait le nombre de tranches pour le porter à 14 (au lieu de 5), la dernière tranche étant imposée à 100% pour les revenus supérieurs à 360.000 €. Ce  revenu maximum serait égal à 20 fois le revenu le médian ce qui convenons-en laisse une certaine marge… Mais c’est aussi plus de justice qui doit être recherchée. Pas celle qui consiste à faire les poches des plus humbles et à détricoter la politique familiale en abaissant les quotients ou en s’attaquant aux allocations de scolarité. Mais bien en mettant à contribution le capital à hauteur du travail car aujourd’hui, le problème c’est le coût du capital, pas celui du travail.  

L’impôt au service de l’intérêt général

Il est emblématique que François Hollande ait buté sur la réforme des « bonnets rouges » dans les départements bretons à propos de la mise en œuvre d’une taxe qui ne cachait même pas son nom : l’écotaxe. Comme en 1789 où les péages et octrois étaient répercutés par les négociants sur les prix, il s’agit de ré-instituer un droit de passage sur les routes qui serait en bout de chaîne payé par les consommateurs. Non seulement cette taxe comme sous l’ancien régime varie selon les régions et porte atteinte au cadre national, mais elle fait la part belle aux sociétés autoroutières, dont les chaussées en sont dispensées, et qui peuvent de la sorte continuer à se gaver du produit de leurs concessions sur le dos du peuple. Il est jusqu’à la levée de la taxe qui échappe cette fois au fonctionnement régalien de l’Etat pour être confiée à une entreprise privée italienne, Ecomouv’, moyennant un juteux marché aux 3,2 milliards d’euros de bénéfices attendus. Autant d’argent qui quoi qu’il arrive ne répondra pas à l’intérêt général puisque les recettes ne serviront pas à transformer un modèle agricole  productiviste à bout de souffle. Elles s’inscriront au contraire dans l’absurde logique européenne du toujours plus de compétitivité pour produire tout et n’importe quoi pourvu que ce soit loin du lieu où ce sera consommé. 

Preuve est faite que ceux qui renoncent, une fois au pouvoir, sous quelque motif que ce soit, se transforment en complices des injustices et des inégalités qui gangrènent notre société. La Convention, en votant à l’initiative des députés de la Montagne l’emprunt forcé sur les riches, nous a montré la voie à suivre. Il ne peut y avoir, au nom de l’intérêt général et du progrès social, qu’une fiscalité résolument progressive, seul bouclier qui vaille pour une République sociale digne de ses missions.


[1]  Cambon est un député de l’Hérault spécialiste des questions financières.

[2]  Plus tard d’autres emprunts forcés furent décidés : à la fin de 1795 par le Directoire et en juin 1799 par Jourdan. Ils n’eurent pas un grand succès, notamment le second qui fut invalidé par le coup d’Etat du 18 brumaire de Napoléon Bonaparte.

[3] Dont Jérôme Cahuzac, ministre du budget sur le départ, avait affirmé pince-sans-rire un soir de janvier 2013 qu’elle était…achevée.

 

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Redonner son sens à l’impôt

Tribune parue dans L’Humanité le 18 juillet 2012

 

Dans le cadre de la grande œuvre de redressement national, terme dans lequel chacun peut piocher ce qui lui convient, l’essentiel du débat public sur la dette porte sur deux seuls leviers envisagés : la TVA (taxe sur la valeur ajoutée) et la CSG (contribution sociale généralisée). C’est une vision pour le moins restrictive et connotée. La parole est alors donnée à des experts venant ­gloser de manière surréaliste sur les avantages ­comparés de chacune des deux options. Ces bavardages caractéristiques d’un entre soi connivent ne peuvent faire oublier qu’il s’agit en réalité des deux faces d’une même politique injuste.

Ce qui fait défaut à ces débats se réduisant le plus souvent à des arguties virant au ­sophisme, c’est une appréhension globale de la situation. Nous ne pourrons en effet sortir par le haut de cette crise systémique que par un partage des richesses radicalement différent. Sans cela, les contresens deviennent monnaie courante. Le recours à l’augmentation de la TVA ou à la CSG traduit une conception inéquitable de ce partage des ­richesses. Prises isolément et ­déconnectées d’un contexte général, nombres des ­remarques faites par nos ­experts sur les avantages présumés des deux options ne sont pas fausses. Il est vrai en effet que la TVA touchant la consommation et non l’épargne peut plus favoriser l’investissement, qu’elle frappe les importations sans trop toucher aux exportations, qu’elle concerne tout le monde puisque même les plus défavorisés consomment. Il est pareillement exact que la CSG possède une assiette large s’appliquant à tous les revenus (travail, capital, jeux), qu’elle dispose d’un meilleur rapport puisqu’un point d’augmentation dégage un revenu de 10 milliards (contre 1,6 point pour la TVA).

Mais raisonner de cette manière conduit à éluder la question centrale d’un autre partage des richesses et ce, au bénéfice de variantes d’une même politique déterminée par les injonctions austéritaires de la troïka. Sont ainsi écartées les solutions radicales de transformation sociale d’un système disqualifié.

Deux approches sont à notre ­disposition pour y parvenir. D’abord en agissant en amont du processus de production de ­richesses. Dans le contexte actuel, ce levier n’est pas praticable faute de volonté et de moyens : seul un gouvernement Front de gauche saurait faire. À cet égard, le projet de contribution commune Aubry/Ayrault en vue du prochain congrès du Parti socialiste confirme, si besoin était, ce renoncement systémique. Reste donc les dispositions ­situées en aval. L’outil idoine est la fiscalité.

Il existe quatre grandes conceptions de la fiscalité. Elle peut être forfaitaire : chacun est amené à s’acquitter d’une même somme au nom d’une présumée égalité d’apparence. C’est l’option des libéraux authentiques et décomplexés ne jurant que par la ­récompense des mérites pour mieux graver dans le marbre l’inégalité des ­personnes. Une autre version plus atténuée mais tout aussi libérale prône une fiscalité proportionnelle. Ne soyons pas dupes : ce n’est rien moins qu’une entourloupe servant de paravent vertueux afin de mettre à distance la mauvaise conscience libérale mal assumée. Car une proportion identique d’imposition fera davantage ­défaut à des revenus modestes engagés dans un combat quotidien qu’à des montants élevés pour qui cela équivaudra à quelques gouttes dans un océan de biens.

La fiscalité peut aussi être de nature confiscatoire. Elle constitue la hantise des nantis qui en font un repoussoir intégral. La question est de déterminer à quel niveau cela devient confiscatoire. Ne perdons pas de vue que ce qui importe n’est pas seulement ce que l’on prend, mais ce qui reste… L’exemple rooseveltien du New Deal ­prolongé lors de la Seconde Guerre mondiale avec un taux maximal atteignant les 90 % montre qu’il existe de la marge : les très riches ont pu continuer à mener un train de vie de riches.

C’est la quatrième forme de fiscalité, progressive, qui doit être privilégiée. ­Depuis la déferlante libérale des années 1980, elle a été réduite pour complaire aux diktats des marchés et des banques. La part de l’impôt sur le ­revenu n’a en effet cessé de diminuer. La ­fiscalité proportionnelle a donc ­mécaniquement fortement progressé, même si, dans les faits, nous assistons à des transferts significatifs vers une fiscalité forfaitaire à coups de niches fiscales ciblées et de cadeaux au capital. L’urgence est donc bien de réhabiliter toutes les formes de fiscalité progressive. Les obstacles ne manqueront pas : les possédants savent mobiliser des trésors d’imagination afin de préserver patrimoine et train de vie. 
Les égoïsmes de classe se renouvellent à ­travers le temps : les uns s’étranglaient avant 1914 à l’idée de la mise en place de « l’horrible impôt sur le revenu », les autres traquent aides et acquis sociaux en les faisant passer pour d’insupportables privilèges d’assistés.

Il y a bien à la fois nécessité civique et urgence politique à revenir à la ­finalité ­profonde de l’impôt : « Faire richesse ­commune au nom de l’intérêt général. » C’est la solution à la crise.

Par Francis DASPE, secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée 

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Une fiscalité vraiment progressive

Tribune parue dans L’Humanité le 27 juillet 2010

 

La formule « trop d’impôt tue l’impôt », éternelle référence servie par les idéologues libéraux et les possédants pour justifier leur allergie à l’impôt progressif, a pour origine la courbe de Laffer, du nom de l’économiste américain qui l’a théorisée dans les années 1970. Cette courbe en forme du U inversé mesure la variation des recettes fiscales de l’État en fonction du taux d’imposition. Au-delà d’un certain seuil de prélèvements, l’incitation au travail, et donc les recettes fiscales, diminueraient.

La courbe de Laffer n’a jamais été démontrée dans les faits. Entre 1930 et 1980 aux États-Unis, le taux supérieur de l’impôt a toujours dépassé 70 % sans nuire à l’efficacité économique du pays. En baissant fortement l’impôt sur le revenu en 1981, l’administration Reagan eut le plus gros déficit public depuis 1945. En France, les baisses d’impôts accordées aux plus aisés depuis 2002 ont généré une perte de recettes fiscales de plus de 20 milliards par an et n’ont eu aucun effet sur la croissance.

La mise en pratique religieuse de la théorie de Laffer aux États-Unis est l’une des causes de l’intensité de la crise : déficits publics abyssaux, redistribution hyper-inégalitaire des richesses avec une minorité de la population en captant l’essentiel et les deux tiers vivant à crédit, protection sociale limitée et chère, taux de pauvreté élevé… Les fameux « amortisseurs » opportunément loués en France après la crise par ceux-là mêmes qui se sont évertués à les démanteler ne sont rien d’autres que des transferts sociaux issus de la redistribution des impôts, bénéfiques à la majorité des Français et à l’économie. Car moins d’impôt ne profite qu’à ceux dont les moyens financiers les mettent à l’abri des risques de la vie. Pour tous les autres, c’est-à-dire la majorité, moins d’impôt signifie moins de services publics, couverture sociale amoindrie, précarité accrue.

Augmenter les impôts ne doit pas être une fin en soi. Mais les réduire non plus. Or baisser les impôts, des riches principalement, a été le dogme consciencieusement appliqué en France depuis dix ans. Résultats : non seulement cela n’a eu aucun bénéfice économique, mais la fiscalité n’assure plus des recettes suffisantes pour financer les dépenses publiques, et elle ne joue plus son rôle de correction des inégalités : la part des impôts progressifs en France est devenue famélique à force d’être la cible de coupes successives (IR, ISF, droits de succession) jusqu’à devenir inférieure à la plupart des pays européens. Rien n’indique que le niveau d’impôt atteint en France soit trop élevé. Il reste inférieur à d’autres pays européens (43 % de prélèvements obligatoires en France contre 49 % au Danemark et en Suède).

Limiter l’impôt à 50 % des revenus n’a aucune justification économique. Une politique fiscale juste doit redistribuer des hauts revenus vers les bas revenus sans compromettre l’activité économique. Elle doit viser à maximiser les recettes fiscales que l’on peut obtenir des hauts revenus et à minimiser les possibilités d’évasion et de niches fiscales qui sapent le principe de progressivité.

Faire le choix dogmatique du moins d’impôt ou d’un plafond théorique est un a priori idéologique insoucieux de l’efficacité économique et de la justice sociale. Une réorientation de la politique fiscale privilégiant le renforcement de la progressivité de l’impôt devient impérieuse. La politique du bouclier fiscal repose en définitive sur un postulat rendu invalide à l’épreuve des faits. Contre la formule à l’emporte-pièce de Laffer, affirmons résolument que la réalité serait plutôt « moins d’impôt détruit non seulement la cohésion d’une société mais amoindrit aussi la compétitivité de l’économie ».

 

Vincent MAROT, membre de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la Gauche Républicaine et Sociale – Prométhée).

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