Sommaire du numéro 104
– Editorial de Francis DASPE « Une feuille de route reconduite chaque année » page 2
– « Texte » de Francis DASPE : « De l’économie de marché à la société de marché » page 3
– Texte de Willy MAYO : « L’action sociale en milieu rural : l’exemple de Solidarité Sud-Gironde » (Actes de la réunion du 04 avril 2013 à Bazas) page 8
– Les comptes-rendus de l’AGAUREPS-Prométhée (Perpignan) page 11
– Agenda de l’AGAUREPS-Prométhée (Prades, Mont-de-Marsan) page 12
– Une fiche d’adhésion (facultative mais conseillée) pour 2014 page 14
Une feuille de route reconduite chaque année
Les fêtes de fin d’année sont le moment idéal pour prendre un peu de temps pour se retourner opportunément sur le chemin accompli. On peut ainsi observer en les mettant en perspective les enjeux passés, présents et futurs. C’est d’une certaine manière ce que réalise pour partie cette première lettre mensuelle de l’AGAUREPS-Prométhée de l’année 2014. Le choix que nous avons fait de retenir un texte ancien y concourt.
Le texte en question date de plus de dix ans, de mars 2003 précisément. Il s’intitule « De l’économie de marché à la société de marché ». Son actualité ne s’est nullement érodée. Il avait été écrit consécutivement à un propos de l’ancien Premier ministre de la période de cohabitation, Lionel Jospin. Celui-ci voulait faire croire que l’on pouvait s’être rallié à l’économie de marché sans en accepter pour autant de passer sous les fourches caudines de la société de marché. Ce texte visait à démontrer sans ambages le contraire : dès lors que l’on se conforme aux postulats d’une économie de marché on ouvre la voie automatiquement aux rigueurs de la société de marché. Il y a une sorte d’orgueil vain que d’estimer que l’on pourrait s’exonérer de la seconde tout en se ralliant à la première.
Le problème majeur de la société de marché réside dans la perte inexorable de conscience collective. Chacun est en effet invité à trouver des solutions individuelles à des problèmes collectifs. C’est réellement la caractéristique majeure, et véritablement destructrice, d’une société de marché. Cela conduit à la dissolution des notions d’intérêt général et de res publica.
C’est la feuille de route qui est ainsi tracée à l’AGAUREPS-Prométhée. Sa raison d’être est de nous préserver de l’avènement d’une société de marché. Ou de nous sortir de ses griffes en fonction du degré d’avancement de celle-ci. Pour cela, il est nécessaire de forger une réelle alternative à l’économie de marché, simple euphémisme pour désigner le capitalisme. C’est à cette tâche prioritaire que l’AGAUREPS-Prométhée va s’atteler une fois de plus en 2014. Le combat se poursuit, car le renoncement dans lequel la société de marché veut nous enfermer n’est pas dans l’ADN de l’AGAUREPS-Prométhée.
A tous, l’AGAUREPS-Prométhée adresse ses meilleurs vœux pour l’année 2014 qui s’ouvre. Des vœux nécessairement militants au vu des échéances politiques et des urgences sociales qui nous attendent. Tels des défis qu’il faudra relever victorieusement dans un combat ininterrompu, à l’image du foie de Prométhée renaissant chaque jour. Et l’aigle venant le ronger symbolise bien le capitalisme prédateur…
Francis DASPE
28 / 12 / 2013
De l’économie de marché à la société de marché
La dislocation du bloc soviétique dans les années 1989-1991 a laissé le champ libre à l’expansion du système économique capitaliste. L’alternative d’une économie socialisée a disparu tandis que les hypothétiques « troisième voie » se sont progressivement amenuisées. Faute de concurrentes, l’économie de marché s’impose à la planète. Ce triomphe ne résulte pas pour autant uniquement d’un simple événement géopolitique, la fin de la guerre froide en l’occurrence, qu’on le considère comme fortuit ou au contraire inscrit dans la logique de l’Histoire. Il avait été préparé par le processus de mondialisation effectué sur des bases libérales depuis quelques décennies à la faveur de l’effritement des positions keynésiennes consécutivement au renversement de la conjoncture lors des années 1970.
Dans un monde soumis à l’hyper puissance américaine, l’économie de marché, avec ses valeurs, ses règles et ses modes de fonctionnement, imprime sa marque à la planète. La primauté de la loi du marché ne saurait être valablement discutée à l’heure actuelle. Ses lois d’airain modèlent puissamment l’économie mondialisée. Quels que soient les noms qui lui sont attribués, capitalisme, libéralisme, néo-libéralisme, mondialisation ou globalisation, la réalité reste la même : le marché impose ses vues.
Certains ont essayé d’établir une distinction entre économie de marché et société de marché. L’objectif était de parvenir à démontrer que l’acceptation d’une économie de marché ne conduisait pas de manière inéluctable et irréversible à l’instauration d’une société de marché. Contraintes de se rallier au libéralisme économique, parfois contre leur gré (jusqu’à quel degré peut-on s’interroger), parfois avec plus ou moins d’empressement, ces personnes s’accrochaient à théoriser une improbable barrière entre économie et société de marché. L’entreprise nous semble ardue : la voie est étroite.
Des liens consubstantiels existent entre les postulats d’une économie de marché et les caractéristiques d’une société de marché, même si ce dernier concept peut apparaître à certains égards flou et encore mal défini. Il convient de se risquer dans cette optique à déterminer aussi clairement que faire se peut les principaux éléments caractéristiques d’une société de marché.
1 – La promotion du citoyen-consommateur
La principale caractéristique d’une société de marché réside dans la transformation insidieuse du citoyen en consommateur. Le citoyen, possédant des droits garantis par le respect de devoirs, jouit d’une part inaliénable de souveraineté. Il exerce cette dernière dans la sphère politique au moyen du suffrage universel égal et secret ainsi que par l’entremise des libertés fondamentales qui lui sont reconnues par la loi. Le citoyen est un être éminemment politique, la citoyenneté constitue une donnée fondamentalement politique. La négation de ces principes jusqu’à la Révolution française reléguait les Français au rang de sujets.
La prééminence de la loi du marché dans le domaine économique a des répercussions immédiates dans les sphères sociale et politique. Le statut de citoyen subit un abaissement alarmant par le biais d’une stratégie de contournement, quand il ne s’agit pas d’une négation délibérée et avouée. L’opération s’inscrit dans une tendance forte : celle de dévalorisation du politique. C’est ainsi que l’on assiste à la volonté de valoriser le marché comme lieu de la souveraineté du citoyen, et ce au détriment de la médiation politique. Le mode d’expression du citoyen-consommateur résulte alors du choix entre plusieurs types de consommations à effectuer sur le marché : le champ des urnes et du bulletin de vote apparaît dès lors suranné.
Ce glissement, presque imperceptible au premier abord, pose le délicat problème de la souveraineté populaire. Il conduit logiquement à la dépossession d’un nombre de plus en plus élevé de personnes : leur part de souveraineté est ainsi confisquée. Le choix consumériste n’est ni objectif ni rationnel au regard de l’intérêt général : il promeut ouvertement la satisfaction première, pour ne pas dire primaire, des intérêts individuels et privés. Encore une fois, il est utile de rappeler, afin de contredire la vieille antienne libérale, que l’intérêt général ne peut se restreindre à la somme des intérêts particuliers de chacun.
Toute personne qui n’a pas les moyens financiers de s’intégrer à la société de consommation se trouve de facto exclue et privée de son droit à s’exprimer dans le champ public. Le statut de citoyen parvient à dépasser les inégalités de tous ordres afin d’attribuer à chacun un droit égal à exercer la souveraineté populaire. La société de marché réinstitue un ersatz de suffrage censitaire ! Le marché ne peut pas se substituer au grand forum citoyen. Il n’est pas un domaine dans lequel chacun, comme individu, pourrait exercer un choix raisonné, et donc comme consommateur détenir un véritable pouvoir d’essence démocratique. La transformation du citoyen en consommateur sous la férule d’une société de marché triomphante signifie en définitive l’abandon de la démocratie sociale et l’émergence de ce que certains ont appelé « démocratie populiste de marché », dans laquelle l’exercice de la souveraineté populaire se réduit à un rapport marchand et consumériste.
2 – Des individus atomisés
La vision libérale de l’économie et de la société conçoit l’individu comme un attribut du marché. Une société de marché élève l’individualisme au rang de vertu cardinale. Un individualisme forcené et exacerbé possède l’intérêt pour les promoteurs et les bénéficiaires d’une telle organisation sociale de détruire les formes de solidarité reliant et unissant les personnes entre elles.
C’est ainsi que l’on préfère avoir affaire à des individus isolés, des citoyens sans attaches, flottant sur le marché, atomisés et déconnectés de leur environnement historique et subjectif. La dislocation du lien social devient le moyen de limiter le degré de conscience collective existant au sein de la société, et plus particulièrement à l’intérieur du monde du travail. De la sorte, les luttes collectives et les mouvements sociaux perdent en intensité et en vitalité. L’affaiblissement, voire la rupture, du lien social qui en résulte est à mettre en relation directe avec la perte de sens du travail dans les sociétés industrielles de marché. Le processus accru de désyndicalisation en constitue un des symptômes les plus significatifs, aggravant de surcroît l’atonie des mouvements sociaux.
L’individualisme possessif se satisfait d’une citoyenneté étriquée et minimaliste, conforme en cela aux intérêts d’une société de marché restrictive. Les droits concédés et les modes d’expression octroyés le sont pour les besoins du marché libéralisé et dans les limites des intérêts de celui-ci.
Le communautarisme d’intérêt apparaît en contrepartie comme un refuge pour l’individu isolé. Faute de s’identifier à une classe, à un groupe social, à une nation, l’individu se replie sur une communauté d’origine dont il appelle la protection. Le lien social n’est plus le produit d’une volonté de destin commun qui transcende les particularismes. Il devient par voie de conséquence la manifestation même de ces particularismes.
La reconnaissance des droits individuels, pourtant nécessaire, est déconnectée d’un horizon collectif. La porte est ainsi ouverte à une privatisation généralisée des conditions de vie et à l’atomisation du corps social. On retrouve un des principes majeurs du mode de gestion libérale : la stratégie de la segmentation de la société qui vérifie le vieil adage « diviser pour mieux régner ». Isoler, atomiser, segmenter, tel est le credo d’une société de marché.
3 – Conformisme et besoin de distinction
Dans la société de marché, l’individu est tiraillé entre deux attitudes contradictoires : le besoin de distinction sociale et le refuge dans un conformisme rassurant.
La tendance à l’homogénéisation des modes de vie est incontestable. Les pratiques de consommation de la société d’abondance tendent à effacer les différences de comportement social. Donnant l’impression de remédier à l’atomisation du corps social, elles renforcent aussi un sentiment identitaire : par la consommation, l’individu rompt de façon symbolique sa solitude et rejoint ainsi la communauté des utilisateurs du même produit, de la même marque. Consommer, c’est participer à une communauté d’égaux, c’est se donner le sentiment sécurisant de « faire partie de quelque chose ». Il s’agit en somme d’un des principes de reconnaissance sociale.
Mais à côté de cela, se renforcent aussi la recherche de la distinction et l’attachement à la diversité. Le besoin d’apparaître décalé se fait impérieux, comme une condition de sa propre affirmation psycho-sociale. Décalé certes, mais point trop cependant, car sinon l’individu peut encourir la réprobation collective : la distinction perçue comme exagérée et non réductible à une norme commune tacite serait alors considérée comme un signe de déviance ou de marginalité condamnable. La moindre différence aussitôt repérée, si elle est acceptée et adoptée par le groupe, devient très vite la norme. Dans le cas contraire, une forte pression sociale s’exerce sur celui qui ne fait alors plus figure de guide mais de déviant.
Un système déchiré entre quête d’unité et préservation du pluralisme s’instaure. L’individu est écartelé entre deux aspirations peu compatibles, d’une part le désir d’égalité qui le pousse au conformisme, d’autre part celui de considération qui l’incite à rechercher la distinction. L’individualisme conduit en réalité à modeler son comportement sur autrui au prix d’un véritable déni de personnalité. D’où la nécessité de se ménager quelques interstices permettant d’affirmer, de manière en fait très ritualisée et codifiée, sa différence et son originalité que l’on feint de considérer comme sa personnalité propre. Apparaître décalé, voilà le nouveau conformisme ambiant dont la finalité est de préserver les convenances et de procéder à l’uniformisation des mœurs et des comportements. Les tenants et les aboutissants de cette contradiction sont autant d’ordre psychique que social.
Ces ambivalences sont caractéristiques de la société de marché et de l’ère des masses : entretenir la contradiction et la confusion pour mieux mystifier. Il n’est pas étonnant de constater que le XX° siècle a vu proliférer la propagande et la publicité dont les mécanismes profonds ressortent à cette entreprise fondée sur l’illusion d’optique permanente.
4 – Le mépris de la culture désintéressée
La culture n’occupe pas les strates supérieures dans la hiérarchie des valeurs de la société de marché. On peut même parler de mépris de la culture de la part des partisans de l’économie libérale. La culture n’est l’objet d’une quelconque attention particulière que si elle est minimaliste et utilitariste. Quand elle est seulement désintéressée ou « gratuite », elle ne représente qu’un intérêt limité.
La déstabilisation de l’institution scolaire s’explique en partie de cette manière. La substitution du terme compétences à ceux de connaissances ou de savoirs illustre de manière crue la dérive sémantique affectant l’Ecole. La culture dispensée se doit d’être immédiatement utilisable à des fins purement concrètes et matérielles, pour ne pas dire sonnantes et trébuchantes. C’est ce que nous entendons par utilitariste. A quoi sert-il de s’encombrer l’esprit par des connaissances jugées inutiles et superfétatoires ? Le mieux, afin de se préserver de ce risque, est de réduire en quantité et en qualité les savoirs à transmettre, de procéder à des allègements significatifs de programmes, d’abaisser de manière identique les exigences. Ainsi s’ouvre la voie pour la transmission d’une culture minimaliste.
La société de marché ne considère pas à sa juste valeur « l’accumulation de connaissances ». Elle aurait même tendance à taxer de parasites et d’oisives les personnes détentrices d’un tel savoir. Le modèle du self made man inculte mais enrichi est davantage valorisé que celui du savant ou de l’érudit. L’inculture est volontiers légitimée pour peu qu’elle s’accompagne d’une réussite financière et matérielle. Se développe de la sorte une forme de populisme niveleur. Sa manifestation la plus ostentatoire réside dans la célébration quasiment rituelle de la meilleure école, celle de la vie, au détriment de l’Ecole de la République.
La culture ne se voit attribué un quelconque intérêt que dans deux cas de figure. Elle peut représenter un investissement judicieux et un moyen de profit rentable. Elle est alors célébrée à l’envi. La possession et la maîtrise d’un certain capital culturel peuvent servir en d’autres occasions à valider une ascension sociale récente. Elle constitue alors un moyen de représentation de soi, de briller en société : elle est instrumentalisée. Le mépris de la culture est masqué selon les situations par la suffisance du parvenu ou la morgue du pédant.
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Le triomphe de l’économie de marché engendre tout naturellement une société de marché modelée par des impératifs mercantiles et privés. Prétendre pouvoir éviter les dérives de la société de marché quand on accepte par ailleurs les fondements et les finalités de l’économie de marché paraît une gageure. Il y a certainement une part d’orgueil et de vanité à vouloir se persuader que l’on puisse y parvenir.
Les effets d’une économie de marché sans contrepoids ni limitations sont absolument redoutables. Les valeurs et l’idéologie du marché concourent à dissoudre le lien social et à désagréger l’exigence républicaine. Elles constituent un obstacle majeur à tout accès à l’universalité pour des citoyens transformés en vulgaires consommateurs. Elles sanctionnent la régression des valeurs de l’esprit et de l’intelligence face aux intérêts matérialistes.
Francis DASPE
Mars 2003
Actes de la réunion publique de l’AGAUREPS-Prométhée du 04 avril 2013 à Bazas
L’action « sociale » en milieu rural : l’exemple de Solidarité Sud-Gironde
Les études anthropologiques récentes suggèrent que les êtres humains ont vécu pendant plus de deux millions d’années dans un état de relative égalité et les premiers signes de d’inégalité socioéconomique remonteraient à environ 50 000 ans (Hayden, 2008).
Face à des inégalités qui n’ont fait que croître au cours des siècles, la solidarité envers les plus démunis s’est elle aussi développée et structurée au cours du temps (Castel & Duvoux, 2013). Il semble d’ailleurs que cette solidarité envers autrui soit une attitude ancrée au plus profond du répertoire comportemental de l’être humain.
En effet, des découvertes récentes de la paléoanthropologie indiquent que la solidarité désintéressée était un comportement déjà observable chez les rudes chasseurs-cueilleurs du Pléistocène. Une équipe reconnue de chercheurs espagnols a mis en évidence en 2010, les restes d’un être humain remontant à 500 000 ans et qui n’aurait pu survivre seul en raison des nombreuses pathologies invalidantes dont il souffrait (Bonmati & coll, 2010). Ces maladies se seraient déclenchées bien avant le décès de ce vieillard survenu à l’âge canonique pour l’époque de 45 ans. Ces pathologies « l’obligeaient à adopter une posture courbée… elles l’empêchaient probablement de chasser ». Donc d’après ces chercheurs, le groupe nomade dont faisait partie cet individu a pris soin de lui, en dépit de la contrainte que cela pouvait représenter en termes de survie du groupe.
C’est assurément une découverte stimulante en ces temps marqués par le culte de l’individualité et du profit au dépend de l’autre… et qui voient encore une fois se creuser les inégalités.
Le creusement des inégalités sociales en France
En effet depuis 2007 en France, les inégalités de revenus[1] sont reparties à la hausse –après une période de décroissance dans les années 1960-1990 – suivant ainsi le mouvement mondial (Berruyer, 2012). Les conséquences de ces inégalités de revenus se retrouvent dans les inégalités de patrimoine. Concernant le patrimoine, les données sont moins faciles d’accès, mais on peut admettre que les inégalités sont nettement plus importantes que pour les revenus (en 2003 l’indice de Gini pour le patrimoine était de 64). A titre d’illustration, la française la plus riche a un patrimoine équivalent à celui des 20% des français les plus pauvres et si l’on ajoute les 10 fortunes suivantes on constate que les 11 français les plus riches ont un patrimoine équivalent à celui des 30% des français les plus pauvres… c’est-à-dire environ 20 millions d’individus !
En 2010, le taux de pauvreté monétaire s’élevait à 14,1% de la population en France métropolitaine (INSEE, 2013). On dénombrait ainsi 8,6 millions de personnes pauvres, c’est-à-dire avec un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté[2]. Cette pauvreté monétaire doit être associée avec la notion de pauvreté en termes de conditions de vie. Celle-ci prend en compte le manque global d’éléments de bien-être matériel au niveau d’un ménage (insuffisance de ressources, restrictions de consommation, retards de paiement, difficultés liées au logement…). En 2011, cette pauvreté en conditions de vie concernait 12,6% des ménages, principalement constitués par des familles monoparentales.
Les singularités de la pauvreté rurale
Concernant la répartition géographique de la pauvreté, on observe une forte concentration de la précarité dans les zones urbaines : un quart des personnes défavorisées vit aujourd’hui dans une agglomération de plus de 200 000 habitants, contre seulement une sur cinq en 1996. Classiquement on décrit un fort exode rural de la pauvreté, en dix ans (période 1995-2005) le nombre de personnes démunies habitant dans une commune rurale étant passé de 2,3 millions à 1,6 million de personnes (Sénat, 2008). Cependant, si ce mouvement en direction des centres urbains se poursuit aujourd’hui, il existe une persistance du phénomène de pauvreté rurale.
Cette « pauvreté rurale » constitue en quelque sorte une double peine pour ces populations, car contrairement aux populations urbaines, les personnes défavorisées résidant dans les territoires ruraux les plus reculés ne bénéficient pas des services publics de proximité ni d’une prise en charge qui permettraient de les sortir de leur condition (Berthod-Wurmser, 2012). En outre, pour les enfants et les adolescents issus de ces familles rurales défavorisées, l’accès à des activités culturelles et de loisir est quasiment impossible, ce qui ajoute une inégalité sur le versant éducatif par rapport aux zones urbaines.
Enfin, l’augmentation des prix des logements dans les centres urbains ne va pas contribuer à moyen terme à freiner cette tendance de fond, en confinant les franges les plus pauvres de la population dans les zones rurales. Ceci est malheureusement en train de se confirmer, par exemple en 2010, le taux de pauvreté monétaire des départements ruraux de la région Aquitaine était supérieur à la moyenne nationale (16,7% en Dordogne et 17,6% en Lot-et-Garonne).
De plus, le taux de recours aux prestations sociales est inférieur en milieu rural, la pauvreté étant stigmatisante et honteuse[3]. Les solidarités traditionnelles s’estompent et ceci rend nécessaire la mise en place de solidarités de substitution (FNARS, 2009). Ce rôle est souvent rempli par des associations de bénévoles qui au-delà de l’aide sociale proposent une véritable animation territoriale.
Les actions de Solidarité Sud-Gironde
Par exemple, l’association Solidarité Sud-Gironde qui est active sur le canton de Grignols (33600 Gironde) regroupe à ce jour une centaine de familles et son projet associatif se décline au travers d’un certain nombre d’axes parmi lesquels : la lutte contre l’exclusion et l’isolement, la restauration du lien social, le développement de l’inter-générationnalité et le fait de rendre la culture accessible à tous. Ce projet se concrétise au travers de nombreuses activités proposées aux familles à des tarifs extrêmement abordables (cours de théâtre et de danse prodigués par des professionnels, sorties pour visiter des expositions ou voir des spectacles). Une aide aux devoirs (gratuite) est proposée aux familles dans le cadre de l’accompagnement à la scolarité. L’association monte des projets vacances (groupes ou familles) à des tarifs là aussi compatibles avec les revenus des adhérents.
D’autres activités comme des groupes de parole, des cours de diététique/cuisine avec l’aide de la Banque Alimentaire sont également proposés. Pour les familles nombreuses un « bouclier social » a été instauré qui a pour but de plafonner l’ensemble des frais d’inscription aux diverses activités. Les financements obtenus par l’association sont majoritairement issus de la Caisse d’Allocations Familiales de la Gironde et du Conseil Général de la Gironde.
Cette image positive est toutefois à tempérer par le fait que ces associations sont souvent portées essentiellement par des bénévoles et qu’elles ne bénéficient que très faiblement d’une reconnaissance financière ou morale par les décideurs locaux (mairies, communautés de communes). Ces décideurs présentent souvent une cécité marquée concernant l’ampleur de la pauvreté au niveau de leurs territoires de compétences.
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En conclusion, face à cette inégalité en milieu rural, les associations contribuent en quelque sorte à fabriquer de la « paix sociale »… Action louable certes, mais une telle action ne risque-t-elle pas au fond d’être potentiellement… contre-révolutionnaire ?
Willy MAYO
Août 2013
Références
Berruyer, O. (2012, Septembre). Les inégalités de revenus en France. Récupéré sur http://www.les-crises.fr/.
Berthod-Wurmser, M. (2012). « En France, les pauvres s’en vont aussi à la campagne ». CERISCOPE Pauvreté.
Bonmati, A., & coll. (2010, octobre). Middle Pleistocene lower back and pelvis from an aged human individual from the Sima de los Huesos site, Spain. Proceedings of the New-York Academy of Sciences, 107(43), 18386-18391.
Castel, R., & Duvoux, N. (2013). L’avenir de la solidarité. Presses Universitaires de France.
FNARS, C. (2009). Note d’analyse: La pauvreté en milieu rural. CNLE.
Hayden, B. (2008). Naissance de l’inégalité. CNRS Editions.
INSEE. (2013). Fiches thématiques – Revenus – Les revenus et le patrimoine des ménages – Insee Références – .
Sénat. (2008). Rapport d’information n° 445. La lutte contre la pauvreté et l’exclusion : une responsabilité à partager.
Compte-rendu de la réunion du 5 décembre 2013 à Perpignan
« Quel projet éducatif pour une municipalité ? »
Maryse MARTINEZ, à partir de son expérience de maire-adjointe à Cabestany, évoque les pratiques qui peuvent être celles du quotidien. Elle insiste sur le nécessaire et indispensable caractère national du système éducatif, même s’il peut être défaillant.
L’objectif consiste à lutter, dans le cadre de compétences municipales en matière d’éducation, contre les inégalités sociales en comprenant mieux les ressorts de la difficulté scolaire. Il s’agit notamment d’offrir à tous les enfants un environnement culturel riche et divers, en favorisant l’accès aux savoirs, à la culture et aux loisirs. Ceci afin de leur permettre de découvrir d’autres horizons et de les aider aussi à réussir à l’école. Les aides pédagogiques en dehors de l’école n’ont pas montré leur efficacité : ce n’est pas moins d’école qu’il faut, mais au contraire plus et mieux d’école.
Des exemples concrets de pratiques ou de mesures sont tirés de son expérience d’élue municipale : utilisation du quotient familial, choix d’équipement des écoles, harmonisation des temps de l’école, de la famille et du travail, mise en place d’un conseil communal de la jeunesse. La création d’un service public de l’animation et de l’accueil de l’enfance est souhaitée, avec des personnels formés et dotés d’un statut stable.
Francis DASPE énumère pour sa part les principes d’une politique éducative à l’échelon municipal : respect du champ des compétences, préservation du cadre national, mise en avant de la dimension idéologique des mesures. La question des projets éducatifs territoriaux (pedt) est évoquée, avec les dérives de territorialisation qui peuvent surgir en lien avec la déclinaison de l’acte III de la décentralisation ou la pente de l’autonomie. Celle des rythmes scolaires également, source de confusions et véritable usine à gaz.
Les axes forts de tout programme municipal voulant contribuer à la transformation sociale sont indiqués : égalité, démarchandisation, émancipation. Pour s’en rapprocher, les potentialités de la laïcité, de la sectorisation, de la déprécarisation, de la restauration scolaire sont examinées. Des propositions concrètes sont formulées dans cette optique.
Des Actes seront rédigés afin de rendre compte de la grande diversité des échanges.
Pour l’AGAUREPS-Prométhée, le Secrétaire général, Francis DASPE le 08 / 12 / 2013
Les débats de
l’AGAUREPS-Prométhée
Conférence / débat
Mardi 28 janvier 2014
à 18 heures
Salle Eyt
Rue San Juan de Porto Rico
à PRADES
▲ Le grand débat :
« Quels outils pour transformer la société? »
Intervention de Francis DASPE, Secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée
Intervention de Pierre SERRA, Membre du comité de rédaction de la revue « Progressistes – Science Travail & Environnement »
ASSOCIATION POUR LA GAUCHE REPUBLICAINE ET SOCIALE– Prométhée
Chez Francis Daspe 19 avenue Carsalade du Pont, porte 2, 66100 PERPIGNAN
Courriel : agaureps@orange.fr
Site internet : https://agaurepspromethee.wordpress.com/
A Perpignan, le 15 / 12 / 2013
Chers amis,
L’AGAUREPS-Prométhée vous convie à une réunion de débat et d’échange
vendredi 31 janvier 2014
à Mont-de-Marsan,
Hôtel des Pyrénées (20 avenue du 34° RI ou Régiment d’Infanterie)
à partir de 18 heures
Ordre du jour :
– La demi-heure de l’actualité politique et sociale :
(Introduction de Francis DASPE)
■ De quoi le travail du dimanche est-il le nom ?
– Le débat de l’AGAUREPS-Prométhée :
(Introduction de Xavier DUMOULIN)
■ Le cas syrien : quelle sécurité collective internationale ?
Amitiés républicaines et sociales.
Pour l’AGAUREPS-Prométhée, le Secrétaire général Francis Daspe
[1] Ces inégalités sont souvent estimées par le coefficient de Gini qui est un indicateur synthétique variant entre 0 et 100. Il est égal à 0 dans une situation d’égalité parfaite et à 100 en cas d’inégalité totale. Pour la France il est passé pour les revenus de 27 en 2003 à 31 en 2011 (Eurostat – juillet 2013)
[2] Le seuil de pauvreté est égal à 60% du niveau de vie médian de l’ensemble de la population. Le salaire médian ayant été en 2012 de 1675€, le seuil de pauvreté monétaire est de 1005€.
[3] Rappelons que l’ampleur du non-recours aux aides est estimée pour 2010 à 35% concernant le RSA « socle » et à 68% concernant le RSA « activité »… Ces chiffres relativisent les discours néolibéraux qui stigmatisent une société de l’assistanat.