LETTRE DU MOIS DE L’AGAUREPS-PROMÉTHÉE N° 167 JANVIER / FéVRIER 2024

Sommaire du numéro 167 : Spécial « Hégémonie culturelle »

  • Edito de Thierry DONGUAT « Tous les chemins de la lutte mènent à Gramsci » page 2
  • Hégémonie culturelle sur le thème « Droite et Extrême droite » : « Bête immonde – Blocage démocratique – Tectonique des plaques »page 3
  • Hégémonie culturelle sur le thème « Laïcité » : « Laïcité chérie, que de vilenies en ton nom ! »page 10
  • Hégémonie culturelle sur le thème « Histoire » : « Les nouveaux contre-révolutionnaires de l’arc républicain »page 13
  • Fiche d’adhésion (facultative mais conseillée…) pour 2024 page 16

Edito:

Tous les chemins de la lutte mènent à Gramsci

Cette nouvelle année 2024 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Le climat politique est en effet vraiment préoccupant. Des dégradations se font ressentir de manière récurrente et systémique, et ce depuis plusieurs années. Il en résulte un parfum d’ambiance qui sent très mauvais. Certains en viennent à conclure que l’hégémonie culturelle serait en passe d’être gagnée par le camp honni d’en face.

C’est pourtant un camp qui n’en menait pas large au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec entre autre l’adoption du programme du Conseil National de la Résistance. Un camp qui, il faut le répéter, sortait profondément discrédité du conflit. D’abord pour avoir crû aux potions libérales « déflationnistes », pour reprendre la terminologie de l’époque, et en conséquence en avoir très largement abusé pour faire face à la grave crise économique des années 1930 ; ensuite d’avoir trop souvent trempé dans la collaboration avec l’occupant nazi, conformément au mot d’ordre maintes fois répété par les possédants, « plutôt Monsieur Hitler que le Front Populaire ».

Depuis, le rapport s’est hélas notoirement modifié. Sous l’effet d’abord de l’offensive néolibérale enclenchée au tournant des années 1970 et 1980 par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, favorisant l’irruption de ce que l’on ne nommait pas encore la mondialisation. Puis ces dernières années par le biais d’un raidissement autoritaire des partisans inconditionnels de la loi du marché, avec la promotion de l’austérité et la redécouverte de l’ordo-libéralisme. Ces ruptures, communément appelées contre-révolutions, qu’elles soient conservatrices ou néolibérales, ont en définitive ouvert la voie à l’acceptation des différentes composantes de la galaxie de l’extrême droite. Car une indiscutable filiation existe entre les deux mouvements, en vertu du théorème von Papen, du nom de l’ancien chancelier allemand qui favorisa la nomination à ce poste en janvier1933 d’Adolf Hitler.

Dans ses écrits passés à la postérité, Antonio Gramsci alertait sur la nécessité de conquérir l’hégémonie culturelle, en préalable à tout succès politique et électoral. Cela suppose un travail de fond méthodique. Ce fut une des raisons d’être que revendiqua l’AGAUREPS-Prométhée au moment de sa création, il y a plus de vingt ans, en 2002. Elle en fit une de ses boussoles. Elle s’y est tenue scrupuleusement. Cette première Lettre de la nouvelle année 2024 en offre une illustration constamment renouvelée. La question de l’hégémonie culturelle, à approfondir ou à reconquérir, est particulièrement sensible pour constituer une urgence.

Son contenu, composé de plusieurs tribunes embrassant différents domaines, montre que tous les chemins du combat politique mènent à la tâche assignée par Antonio Gramsci. Ou du moins qu’il oblige à y revenir régulièrement et inlassablement, avec une détermination sans faille.

Thierry DONGUAT 04 / 01 / 2024

Hégémonie culturelle : Droite et extrême droite 

Tribune 1 :

La pourtant tellement résistible ascension de la bête immonde

Tribune parue sur le site de Mediapart le 07 décembre 2023.

Francis DASPE est auteur de deux ouvrages sur le sujet, « La révolution citoyenne au cœur » (Eric Jamet éditeur, 2017) et « 2022. Pour renverser la Table à la présidentielle » (Eric Jamet éditeur, 2020).

Il est aussi secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée et impliqué dans La France Insoumise.

Une (mauvaise) musique de fond, autant lancinante que sordide, résonne insidieusement à nos oreilles. Elle voudrait nous persuader que le combat contre la « bête immonde » serait perdu. La voie du triomphe semblerait lui être ouverte. Nous serions en conséquence conviés à nous résigner, puisque tout convergerait vers cet inéluctable destin imposé qui nous est promis à grand renfort de gesticulations. En effet, la pensée dominante ne lésine pas sur les moyens : des sondages plus ou moins frelatés, des médias plus ou moins complaisants, des succès électoraux plus ou moins réels. L’incitation et l’invitation à capituler se font de plus en plus impératives.

La situation peut nous faire penser à l’ouvrage de Bertolt Brecht « La Résistible ascension d’Arturo Ui ». Déjà en son temps, cette histoire de gangster de Chicago, écrite en 1941, pendant l’exil de l’auteur allemand en Finlande, pouvait être interprétée comme une parabole du nazisme et de la toute aussi résistible arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler. Elle ne prend que davantage d’acuité au regard de l’actualité.

Plus que jamais, nous sommes amenés à nous demander en quoi consiste la « bête immonde ». Il s’agit d’abord d’un parfum d’ambiance particulièrement nauséabond et nauséeux. Elle est ensuite le produit de la conjonction d’une extrême droite dédiabolisée et d’une droite décomplexée. Il en résulte une grande porosité des frontières entre les deux : une droite devenue droite extrême et une extrême droite maintenue quoique relookée autant par elle-même que par d’autres. De la sorte, se raffermissent les envies d’un rapprochement rebaptisé union de l’ensemble des familles de droite. Une sorte de pacte sacré des possédants. Ces confins autrefois nettement délimités par des garde-fous, fermes en apparence seulement, prennent aujourd’hui la sinistre réalité d’une terra incognita pour les principes républicains qui y sont notoirement battus en brèche. Il ne s’agit plus d’un no man’s land : les groupes et les personnes s’y retrouvent à foison pour œuvrer à l’inquiétante besogne. Il n’est plus possible d’affecter de penser qu’il s’agisse d’un espace politique inoccupé, marginalisé ou en déshérence. 

Sans quoi l’actualité se chargerait de nous ramener à la dure réalité. En France, les faits se multiplient pour témoigner des dérives structurelles en cours. Inutile d’en énumérer les tristes et inquiétants épisodes, où les faits divers le disputent aux actes politiques peu reluisants mais ayant désormais « pignon sur rue ». C’est également le cas en Europe, avec l’omniprésence des formations d’extrême droite, sous des configurations certes variables mais bien réelles, entre contrôle du pouvoir en Hongrie ou en Italie, victoires électorales aux Pays-Bas, participation à des coalitions gouvernementales en Finlande, soutien à des gouvernements en Suède, en tête des intentions de vote pour les prochaines législatives en Belgique ou en Autriche, ou forces montantes en Espagne, Croatie ou Roumanie. Sans oublier la récente poussée xénophobe en Irlande qui nous a saisis d’effroi, tant ce pays semblait être à l’abri de ce genre de dérives. Comme dans la fable de La Fontaine, les animaux malades de la peste, si tous les pays n’y succombent pas, tous en sont désormais frappés.

Dans ces conditions, que faire pour éviter le retour de la bête immonde ? Contentons-nous de quelques pistes. En premier lieu, un sursaut à gauche s’impose. Il est nécessaire de tenir ferme sur les principes et les mots. Cette exigence engage le programme et la stratégie. Il devient vital de ne pas permettre à certains de flancher, qui peuvent finir de préférer Hitler plutôt que le Front Populaire, même sous des formes renouvelées présentées comme inoffensives sous le paravent d’un improbable arc républicain. Il n’y a hélas pas qu’à droite que l’on raisonne (ou déraisonne) de la sorte. Dans la région Occitanie, le nombre élevé de députés d’extrême droite élus en 2022 en témoigne pour partie, si besoin était. Car les « allergiques congénitaux compulsifs » à la NUPES y ont puissamment concouru.

Nous devons nous interroger sur la fonction de l’extrême droite au sein du système qu’elle affecte de combattre. Dans toutes ses dimensions, elle agit comme son assurance-vie. Elle garantit le maintien du capitalisme ; elle préserve les intérêts des oligarchies ; elle constitue un appoint fidèle aux coalitions politiques qui gouvernent, dans le seul but d’opposer un barrage à une majorité de transformation sociale. En attendant peut-être d’être considérée comme le plan B d’un système aux abois, dans la logique immuable du « tout saufs les rouges et les partageux ». La situation politique dégradée rendant possible ce scénario est bien identifiée : la déliquescence des fonctions régaliennes. Il convient alors de lutter résolument contre un tel péril. L’irruption, constatable en de maintes occasions, à visage découvert, de forces paramilitaires, ou à tout le moins en singeant la réalité, exige de hausser le niveau d’alarme. 

Il n’est pas inutile de rappeler que le parti nazi, à son apogée lors des élections législatives de juillet 1932, était loin de disposer de la majorité absolue. Il ne pouvait pas accéder au pouvoir en l’état. A l’occasion des nouvelles élections de novembre, il perdait en quatre mois environ deux millions de suffrages. Mais dans le cadre de la mécanique infernale du plan B d’un système menacé par la rupture populaire, Adolf Hitler accédait alors à la chancellerie : son échec relatif lui donnait sans doute une plus grande respectabilité à accéder à la chancellerie aux yeux du cartel des possédants qui pensait pouvoir mieux le contrôler. La prise du pouvoir par Hitler était réellement « résistible ». Car l’extrême droite reste confrontée à un obstacle de taille afin de parvenir à cet objectif, celui de la coalition gouvernementale à construire. La pourtant réelle victoire de Geert Wilders aux Pays-Bas est loin de lui assurer la constitution d’un gouvernement qu’il dirigerait. On connaissait les rigueurs d’un plafond de verre bridant ses velléités de victoire. Il faut y ajouter en sus l’existence de « murs de verre », limitant ses chances de constituer autour d’elle une coalition en vue de gouverner. Enserrée entre un plafond et des murs, l’extrême droite reste encore assez largement dans une « cage de verre ». Les efforts pour l’en extraire existent malheureusement, entre dédiabolisation, banalisation, intégration dans d’improbables arcs prétendument républicains, invitations à marcher contre ce qui l’a toujours fondée et encore aujourd’hui en dépit de dénégations dérisoires.

C’est pour cela que nous faisons nôtre la formule finale de Bertolt Brecht qui indiquait que « le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ». Quand bien même il suffirait de bien peu de choses pour l’empêcher d’advenir à nouveau. Une éventuelle nouvelle ascension est en définitive tellement résistible ! Mais peut-être est-ce demander trop à certains de faire pourtant si peu pour faire rempart à la bête immonde ?

Francis DASPE

Tribune 2 :

La progression des extrêmes droites se nourrit d’un blocage démocratique en Europe

Tribune parue sur le site de Marianne le 29 novembre 2023.

François COCQ est essayiste et membre du collectif « Les Constituants ». Il est aussi président de l’AGAUREPS-Prométhée.

Le PVV (Parti pour la liberté) de Geert Wilders est donc arrivé en tête du scrutin législatif qui s’est tenu mercredi 22 novembre aux Pays-Bas, avec pas moins de 8 points d’avance sur ses poursuivants. Depuis, la litanie des analyses s’inquiète à moindres frais de la poussée de l’extrême droite en Europe, présentant celle-ci comme un phénomène endogène à nos sociétés.

Rien de mieux donc pour exonérer le reste de la sphère politique de ses responsabilités dans l’enracinement et la progression des droites radicales, voire pour présenter les autres forces politiques comme des victimes des choix citoyens. Une telle cécité est démocratiquement criminelle.

Un blocage démocratique

Bien sûr, l’extrême droite avance dans la plupart des pays de l’Union européenne. Avant son succès électoral au Pays-Bas, le SNS (Parti national slovaque) avait quelques semaines auparavant fait son entrée dans la coalition gouvernementale sortie des urnes en Slovaquie. En Finlande, le Parti des Finlandais participe au gouvernement depuis avril dernier. Les Démocrates de Suède occupent quant à eux 73 des 300 sièges de la Chambre depuis septembre 2022 et ont apporté un soutien sans participation à la formation du gouvernement.

Au même moment en Italie, Frères d’Italie, la Ligue et Forza Italia se retrouvaient pour former le gouvernement Meloni. Sans compter la dynamique supposée du Rassemblement national (RN) en France selon les sondages, ou encore la percée jusque dans les Länder de Hesse et de Bavière de l’AfD en Allemagne. Après chacune de ces élections, c’est alors la même complainte tant chez les commentateurs qu’au sein d’une gauche bien-pensante : l’extrême droite progresse parce que nos sociétés seraient intrinsèquement plus polarisées et plus radicalisées, le champ du politique restant extérieur à une telle mutation.

C’est oublier – volontairement – que la progression des extrêmes droites se nourrit d’un blocage démocratique à l’échelle du continent. L’effondrement du bipartisme au tournant de la décennie 2010 a laissé place aux grandes coalitions « gauche-droite » (Groko) pour permettre à ceux qui, jusqu’alors, se succédaient au pouvoir, de se le partager pour s’y maintenir : 14 des 28 pays de l’UE étaient ainsi sous le régime de grande coalition en 2014. Mais très vite, dans la deuxième partie de la décennie, la poursuite du mouvement destituant a fait voler en éclat cet artifice de système. Les citoyens ont bloqué en conscience le jeu électoral. Aucune majorité ne se dégageait plus alors des urnes (16 des 28 pays de l’UE en 2018), même malgré des retours répétés devant les électeurs (Italie, Espagne, Bulgarie…).

Les délais pour former des gouvernements se sont allongés (271 jours aux Pays-Bas en 2021, 464 en Belgique en 2020…) et les sangsues du pouvoir ont accepté le principe de la démocratie minoritaire pour garder leur rang. Soit en gouvernant de manière minoritaire (Belgique en 2020, Suède jusqu’en 2022, Espagne jusqu’en 2023, France depuis 2022…), soit par le biais de coalitions hétéroclites dites « grand chapiteau » ou technocratiques (Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg, Espagne, Irlande, Bulgarie, Pays-Bas…). Bien qu’exprimée, l’aspiration destituante des peuples ne peut être purgée de la sorte. Ainsi, l’extrême droite prospère sur un rejet par les citoyens de l’offre politique existante.

« Stratégie du socle »

Pire, l’acceptation de la démocratie minoritaire dans son principe conduit les forces électorales à adopter « la stratégie du socle » : faute de perspective majoritaire, elles se concentrent sur leur socle électoral pour sortir en tête du scrutin. L’objectif n’est plus de rassembler mais de se compter et, pour ce faire, de cliver. La polarité n’est désormais plus tant celle qui existerait sui generis au sein des sociétés que celle qui y est importée par un champ politique où les partis privilégient le communautarisme électoraliste en ne s’adressant qu’à des franges bien circonscrites du corps électoral.

Un tel enfermement dans cette stratégie était jusqu’à présent l’assurance-vie des partis dans une position centrale (tel Emmanuel Macron en France qui l’a adoptée comme stratégie unique depuis 2017) qui bénéficient ensuite des lois de la gravitation politique pour attirer à eux les corps plus faibles qui l’entourent. Il est par contre plus surprenant (sauf à ce qu’ils ne se contentent de ne faire que de la « boutique ») que des forces de périphérie comme La France insoumise (LFI) adoptent cette même stratégie du socle, se résolvant alors à la démocratie minoritaire alors même qu’ils ne peuvent en tirer bénéfice. Face à ceux-là, le Rassemblement national, qui dispose, lui, d’un socle originel, se garde bien d’être dans ce mouvement centripète et prend même le contrepied en cherchant à élargir son assise.

L’autre raison de la poussée des extrêmes droites tient pareillement à un problème d’offre politique. Nul ne peut aujourd’hui prétendre répondre aux aspirations des citoyens s’il pratique l’eurobéatitude ou s’il maintient artificiellement des angles morts de la pensée sur des sujets comme l’immigration ou l’insécurité. Dans le premier cas, on n’oubliera pas qu’aux Pays-Bas, les sociaux-démocrates avaient rapatrié pour cette élection le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans. Dans le second, la gauche moraline préfère la rente électorale garantie par ses totems sur le sujet plutôt que de chercher à y répondre. Sera foudroyé sur-le-champ celui qui cherchera à s’y confronter, comme l’a été Arnaud Montebourg lors de son éphémère campagne de 2022.

Faillite démocratique

À l’inverse, dans d’autres pays, certains ont pris acte du hiatus entre les électeurs et ceux qui prétendent les représenter. Ainsi Sahra Wagenknecht en Allemagne qui, ayant fraîchement rompu avec Die Linke, est créditée de 14 % des intentions de vote. Ou comme le KKE en pleine émergence en Grèce (donné à 12 %) qui fait désormais jeu égal avec Syriza. Leur positionnement résolument antilibéral et prônant la répartition des richesses sur un plan économique et social assume d’être beaucoup plus protecteur sur les questions régaliennes et de souveraineté. Ce qui offre de la sorte à la fois une échappatoire à un électorat tiraillé entre deux aspirations que les partis en place présentent comme incompatibles, mais aussi une perspective pour reprendre à l’extrême droite un champ qui lui avait été abandonné.

De fait, ce n’est pas tant chez leurs anciens partenaires que mordent ces partis que chez un électorat trop longtemps laissé orphelin. Moins qu’un mouvement inéluctable de l’histoire, la poussée des extrêmes droites est avant tout la résultante de la faillite démocratique d’une offre politique qui a rompu avec les aspirations populaires.

François COCQ

Tribune 3 :

La tectonique des plaques des droites, ou la dérive des principes

Tribune parue sur le site de La Tribune du Dimanche le 03 / 01 / 2024

Le vote de la loi « Asile et immigration » portée par le ministre Darmanin constitue un (nouveau) franchissement de seuil. A droite, et même au-delà, la tectonique des plaques a bougé de manière sensible. La dérive des continents de la galaxie droite et extrême droite a provoqué des rapprochements, davantage prévisibles qu’inédits, sans qu’il soit toujours aisé de distinguer dans quelles proportions il en résultera porosité ou heurts.

On savait déjà à quel point Emmanuel Macron avait été en 2017 le plan B de l’oligarchie. Aujourd’hui, dans la grande famille des possédants unie par une solidarité de classe, il devient délicat de savoir qui est le plan B de qui. En réalité, on observe une prolifération de plans B réciproques, au sein d’un entre soi cimenté par de multiples connivences, quand il ne s’agit pas de consanguinité en bonne et due forme.

L’extrême droite devient de manière récurrente le plan B des possédants. Ceci n’est guère surprenant, s’inscrivant dans la veine accordant une préférence assumée à Hitler plutôt qu’au Front populaire. En retour, Macron et Les Républicains servent plus que jamais de levier à l’extrême droite pour la réalisation de son entreprise de dédiabolisation et de banalisation ; cette dernière reçoit désormais les sésames requis pour intégrer le prétendu arc républicain et participer au bal. Les Républicains servent de béquille au Président Macron afin d’acter définitivement et irrémédiablement le fait que la macronie soit de droite et de droite, nouvelle version actualisée de la fiction du « et en même temps ». L’absence de majorité parlementaire des macronistes permet à la droite classique du groupe Les Républicains de se donner l’impression qu’elle compte encore en dépit de sa désagrégation avancée. Peut-être la Macronie, pour pallier son insuffisance avérée de talents, aspire à transformer Les Républicains en un éventuel vivier de dirigeants potentiels dans lequel puiser, au gré des ambitions et des débauchages, comme l’illustrent les exemples des Le Maire, Darmanin, Philippe ou Castex.

Dans ce panorama il convient de s’attarder sur le rôle singulier, et paradoxal, tenu par Eric Zemmour. Décomplexé et peu préoccupé par l’impératif de dédiabolisation, il s’engage pleinement dans la bataille idéologique pour en repousser autant que faire se peut les limites, ou les dérives, c’est selon les points de vue. Mais parallèlement, il appelle à une union des différentes familles historiques de droite, sur des bases communes à la droite extrême et à l’extrême droite. Dans cette optique, dénonçons d’emblée l’enfumage que constitue la tentation évoquée par certains d’un partage des tâches (ou d’une synthèse) entre les questions régaliennes, attribuées à une droite plus dure, et les questions économiques et sociales, réservées à une droite plus libérale. Chacune des composantes de ce vaste espace de conservateurs et de réactionnaires possède en elle ces deux dimensions. Seules la priorité et la proportion peuvent varier. C’est en cela que consiste sans nul doute la « synthèse bollorienne » dans son accomplissement le plus parfait.

La porosité des idées et des principes est indiscutable. C’est inquiétant, car cela équivaut à l’acceptation de thèses nauséabondes et nauséeuses. Elles finissent par accoucher de la bête immonde. Car la porosité n’empêche pas le surgissement de catastrophes sismiques de grande ampleur.

Il y aura nécessairement des heurts. Car par delà les intérêts de classe communs, les ambitions et les esprits de chapelle s’entrechoquent en fin de compte plus ou moins violemment. Il n’y a qu’à observer comment certaines oppositions de façade, effectivement très largement factices, sont surjouées. Ce fut le cas au moment de la loi sur les retraites, c’est le cas pour celle sur l’immigration. Ces oppositions surjouées se traduisent par des surenchères consternantes. Parfois, comme dans un jeu de rôle bien huilé, elles aboutissent à des aggravations mortifères. Et l’hypothèse que cela puisse déclencher là aussi le triomphe de la bête immonde n’est hélas pas à écarter d’un revers de main.

Les franchissements de seuil sont à prendre avec le plus grand sérieux, surtout quand ils mettent en jeu de manière coordonnée les principes idéologiques et les actes politiques. Ils ouvrent la voie à la possibilité des catastrophes les plus sordides. Indéniablement, c’est de cela dont il s’agit aujourd’hui. Le très mauvais parfum d’ambiance doit nous alarmer afin de réagir en conséquence, pour rendre possible une alternative populaire progressiste plus jamais indispensable.

Francis DASPE 

Hégémonie culturelle : Laïcité

Tribune 4 :

Laïcité chérie, que de vilenies en ton nom !

Tribune parue sur le site de Marianne le 19 décembre 2023 sous le titre « Préserver la laïcité équivaut à garantir la souveraineté populaire ».

La laïcité n’a pas été consensuelle. Elle a mis du temps à surmonter force obstacles et, de ce fait, à s’imposer durablement. Très longtemps, ceux qui n’en voulaient pas ne pouvaient concevoir de société stable sans une imprégnation profonde de la religion et une acceptation plus ou moins tacite d’un contrôle social dévolu à l’Eglise. Dans un même élan, et en parfaite cohérence, ils récusaient fermement toute forme républicaine au régime politique dans lequel ils entendaient vivre.

Aujourd’hui, les héritiers de ces courants politiques réactionnaires ou conservateurs, termes initialement distincts mais se recoupant de plus en plus, existent toujours. Mais ils en viennent désormais, ironie de l’histoire, à exciper sans discontinuer le mot laïcité dans l’espoir de trouver une solution magique à toutes leurs préoccupations, quand il ne s’agit pas d’obsessions peu avouables. Le mot, mais certainement pas la chose. Car c’est presque toujours dans une perspective effectivement réactionnaire et conservatrice que la laïcité est conviée à leur secours.

C’est ainsi que l’actualité regorge d’exemples de la sorte. Il ne s’agira pas d’en établir un inventaire, car le récent triste épisode élyséen n’en représente hélas que la face émergée de l’iceberg. Il convient davantage de prendre un peu de hauteur de point de vue, afin d’accéder aux principes dont le respect équivaudrait à un antidote à toutes ces dérives.

Il est en effet impossible de contester que la laïcité soit depuis trop longtemps bousculée, contournée, dénaturée, instrumentalisée, battue en brèche et même humiliée. En ton nom, que de confusions, de contresens, d’offenses on commet ! Et ceci tout en affectant de te chérir ! Il y eut un temps où les adjectifs accolés à profusion au mot laïcité servaient à la déqualifier ou même à la disqualifier de manière sournoise.

La laïcité est d’abord une exigence fondamentale. Elle n’est donc pas par conséquent une simple et vulgaire tolérance. Elle ne peut se confondre, par le travers d’une regrettable confusion, avec une quelconque forme d’œcuménisme. Elle ne peut pas, également ou symétriquement c’est selon, servir à une insidieuse volonté de procéder à une rechristianisation de la société, en s’inscrivant dans une logique de combat face à la concurrence d’autres confessions ou dans une simple perspective de préservation des acquis et des rentes accordés par l’Histoire. C’est que la laïcité ne peut être transformée en un principe asymétrique, prétexte commode pour justifier à bon compte ses phobies nauséabondes. Enfin, elle ne peut pas non plus être piétinée dans le seul objectif de valoriser ses intérêts bassement politiciens, rentiers ou clientélistes, autrement dit au prix de trahisons et de renoncements méprisables. Il est vrai que certains, issus du camp progressiste, s’accommodent sans barguigner avec l’attribution d’aides financières extra-légales à l’enseignement privé confessionnel, tout en prétendant tenir à la laïcité comme à la prunelle de ses yeux.

A ce compte, on s’aperçoit que la laïcité est finalement bien moins « consensuelle » que certains apôtres autoproclamés d’un tout aussi improbable arc républicain en cours d’ « épiphanie », renforcé par quelques élargissements pas très « catholiques » pour l’occasion, voudraient le faire croire. En théorie du moins, mais pas toujours en pratique. Une réflexion un peu plus approfondie en faisant retour aux principes permet de remettre de manière opportune en exergue l’exigence intrinsèque de la laïcité.

Car ses vertus sont considérables, garanties par le respect des principes la constituant. Au premier de ceux-ci, une distinction claire et rigoureuse des sphères publique et privée, resucée de la célèbre apostrophe de Victor Hugo plus que jamais d’actualité, prononcée le 14 janvier 1850 devant l’Assemblée nationale, « L’Eglise chez elle et l’Etat chez lui ». C’est cela qui ouvre la voie à la réalisation concrète, ni plus ni moins, de la promesse républicaine en ce domaine : reconnaissance de la liberté de conscience et de culte, garantie de l’égalité en droits, condition de la fraternité en actes.

« Le cléricalisme, voilà l’ennemi », proclamait pour sa part Léon Gambetta devant la Chambre des députés le 4 mai 1877, au plus fort de la confrontation. Aujourd’hui, le péril endosse les habits de l’inquiétante reconfessionalisation de la sphère sociale et politique. De la sorte, prolifèrent des considérations politiques construites en fonction des canons de la religion. Des tentations, à ne pas minimiser, incitent à ce que des décisions politiques soient influencées par un substrat religieux, voire à en être clairement et étroitement compatibles. Les lignes rouges sont prêtes à être franchies. La foi ne peut en aucune manière faire la loi. C’est au contraire la loi qui protège la foi (ou son absence), pour peu que la foi ne se mêle pas de se substituer de manière inopportune au législateur.

La laïcité ne constitue pas un supplément d’âme à la République. Ses principes sont inscrits au cœur même de la devise républicaine. Ils en constituent le soubassement le plus solide. C’est en cela que la laïcité doit être comprise et reconnue, comme une exigence inébranlable. Ses racines sont lointaines. Une d’entre elles remonte aux réflexions fécondes de l’humaniste italien Jean Pic de la Mirandole, jetant à la face des forces obscurantistes de la fin du Moyen Age, dans son traité de 1486 intitulé « De la dignité de l’homme », qu’il n’y avait rien de plus admirable que l’Homme. La laïcité reprend à son compte ce manifeste, instituant que les femmes et les hommes constitués en peuple sont en capacité de se gouverner par eux-mêmes, en dehors des dogmes religieux et autres vérités révélées.

Préserver la laïcité équivaut à garantir la souveraineté populaire. En conséquence, nul ne peut s’improviser valablement défenseur exclusif d’un prétendu arc républicain. Surtout en le faisant par une appropriation indue de la laïcité à rebours de son histoire, ni par une récusation malvenue en contradiction flagrante avec cette même histoire politique. Laïcité chérie, que de vilenies en ton nom !

Francis DASPE 

Hégémonie culturelle : Histoire 

Tribune 5 :

Les nouveaux contre-révolutionnaires de l’arc républicain

Tribune parue sur le site de Politis le 29 novembre 2023

« Et si j’étais né en 17 à Leidenstadt, Sur les ruines d’un champ de bataille, Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens ? » Telle est l’interrogation fredonnée par Jean-Jacques Goldmann dans une chanson éponyme datant de 1990. Nous savons à quel point il faille se défier par-dessus tout de l’impasse de l’anachronisme et des reconstitutions historiques douteuses. Mais il existe parfois matière à s’interroger.

C’est le cas avec le culot monstre des membres autoproclamés de l’improbable arc républicain. Ils osent tout, y compris les comparaisons approximatives les plus frelatées. Savent-ils seulement d’où vient la République ? Quelle est son essence ? Il est permis d’en douter. Les symboles de la République témoignent sans ambiguïté des liens indéfectibles entre République et Révolution.

Ces drôles d’apôtres du prétendu arc républicain, si prompts à décerner à l’envi, qui plus est sur des critères pour le moins insondables, des brevets de républicanité ou de républicanisme, de quelle manière se seraient-ils positionnés face aux événements de l’année 1789 ? Sans doute à la droite du président de séance comme ceux qui étaient favorables au droit de veto du roi pour mieux étouffer l’expression des représentants du peuple et de la souveraineté populaire. Ils devinrent la droite, entre nuances de conservateurs et de réactionnaires : depuis, rien, ou presque, n’a changé.

Rejet de toutes les formes de contestation

Le Serment du Jeu de paume du 20 juin aurait été considéré sans nul doute comme une scandaleuse entreprise de « bordélisation » des États généraux, peut-être à l’égal d’un acte de subversion factieuse. Aujourd’hui, des députés qui bousculent le bel ordonnancement d’un jeu parlementaire compassé, ressemblant trop souvent à un théâtre d’ombres, sont accusés avec les mêmes mots. Par la transformation des États généraux en Assemblée nationale constituante qui s’ensuivit, c’est pourtant une étape décisive dans l’affirmation de l’existence d’une source de souveraineté autre que celle du roi, celle du peuple.

Le 14 juillet la prise de la Bastille, symbole de l’absolutisme avec ses lettres de cachet y envoyant des prisonniers de manière arbitraire, aurait été assimilée avec mépris à une effroyable émeute sanguinaire de la part d’une populace dangereuse. Au cours des dernières années, les différentes formes de contestations, des Gilets jaunes aux manifestations syndicales en passant par les moyens d’action des activistes écologistes, ont été traitées de manière récurrente de la sorte. L’événement est pourtant célébré chaque année par la République comme le jour de sa fête nationale.

La nuit du 4 août, qui se traduisit dans un même élan par l’abolition des privilèges, des trois ordres de la société et du régime seigneurial, serait reléguée à un vote démagogique sanctionnant le triomphe d’un affreux nivellement par le bas et d’un égalitarisme de bien mauvais aloi. Ou à une injustifiable spoliation de personnes apportant des bienfaits considérables à l’ensemble de la société. Il est vrai que faire la guerre ou prier pour le salut des âmes était bien plus utile que travailler quotidiennement dans les champs, ce qui conduisait les paysans à devoir rester pauvres, tout en payant de surcroit des impôts à tout le monde…Et que dire de la décision de procéder à la nationalisation des biens du clergé !

Persistance d’une morgue aristocratique

Aujourd’hui, ces mesures constituent le socle sur lesquels se fondent les principes républicains les plus élémentaires, transcrits quelques semaines plus tard dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août, véritable bloc de constitutionnalité. Pourtant, subsistent encore une même morgue aristocratique et une suffisance pathétique à croire qu’il n’existe pas d’alternative aux politiques menées et que rien ne peut, ou ne doit, changer.

Le cortège populaire, avec à sa tête des femmes, qui partit à Versailles pour finalement ramener le roi et sa famille à Paris, pourrait encourir les menaces de foudres de la justice, sous différents chefs d’accusation tels que violation du domicile du roi, séquestration, entrave à sa liberté d’aller et de venir, entorse inacceptable à sa liberté personnelle, menaces et intimidations inadmissibles, etc.

La tentation du monarque républicain de s’enfermer dans sa tour d’ivoire élyséenne relève d’une logique identique à celle des rois absolus se retranchant dans le château de Versailles pour mieux s’éloigner du peuple. Cet épisode est pourtant un jalon essentiel dans la démonstration que le pouvoir doit être, du moins en démocratie, au service de tous et sous le contrôle des citoyens.

Le visage remodelé des contre-révolutionnaires

L’année 1789 marque le début de la période historique que l’on nomme contemporaine. C’est-à-dire l’histoire de notre temps, celle qui pose les bases de notre République et de notre démocratie, si imparfaites soient-elles. Les concepteurs de cet arc républicain semblent être restés dans un autre monde, virtuel, celui qui n’aurait pas connu la Révolution française. Une Révolution qu’il est nécessaire de considérer comme un bloc, comme le disait fort justement Clémenceau en 1889 au moment des débats sur la célébration du centenaire, avant de dériver plus tard vers d’autres rivages éloignés en se targuant d’être devenu « le premier flic de France ».

La République sans l’esprit et l’héritage de la Révolution, ce n’est plus la République. C’est une tentative parmi d’autres de préserver une forme d’Ancien Régime, qui récuse en bloc, de manière plus ou moins assumée, les événements fondateurs de 1789 au même titre que les efforts actuels pour approfondir l’ambition républicaine démocratique.

L’arc républicain allégué par la macronie n’est en réalité que la coalition de circonstance des diverses nuances de conservateurs et de réactionnaires. Ce n’est rien moins que le visage, remodelé pour paraître plus présentable, des (nombreux) nouveaux contre-révolutionnaires. Qui n’agréée pas à la Révolution méconnaît en fin de compte l’exigence fondamentale de la République et ne peut s’en prévaloir.

Francis DASPE

ASSOCIATION POUR LA GAUCHE REPUBLICAINE ET SOCIALE– Prométhée

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